Et Si Incarner L’autorité Ne Relevait Ni Du Genre, Ni De La Force, Mais D’un Geste Symbolique Que L’on Peut Réinventer ?
Je me souviens très précisément de cette réunion. Une salle impersonnelle, une table en bois clair, des collègues majoritairement masculins autour de moi. J’étais la plus jeune, la seule femme cadre à ce niveau-là. Ce jour-là, j’ai pris la parole pour poser un cadre clair, recadrer un projet mal engagé. Le silence qui a suivi, glacial, m’a renvoyée à une forme de transgression. Une voix trop posée, trop assurée, trop « autoritaire » pour mon genre, sans doute. On m’a ensuite conseillé, avec un sourire gêné, de « mettre les formes ». Comme si mon autorité, pour être recevable, devait se déguiser en douceur.
Depuis, il m’arrive souvent de me demander : l’autorité est-elle une posture genrée ? Est-elle reçue différemment selon que l’on porte une jupe ou une cravate ? Et surtout : peut-on penser une autorité juste, légitime, sans en passer par les clichés virils ou les injonctions à la bienveillance obligatoire ?
Voici Cinq Chemins Pour Interroger Cette Drôle D’équation Entre Genre, Pouvoir, Et Subjectivité.
L’autorité Selon Freud Et Lacan : Une Affaire Symbolique
Freud posait les bases : l’autorité s’ancre dans le surmoi, cette instance morale héritée du « père » dans l’Œdipe. Lacan ira plus loin : le « Nom-du-Père » n’est pas un papa en chair et en os, mais une figure symbolique qui incarne la Loi, le langage, la séparation. Dans cette lecture, le masculin n’est pas un sexe, c’est une fonction : celle qui cadre, tranche, nomme. Le féminin, lui, incarne ce qui échappe à la loi, ce qui dérange l’ordre symbolique.
Ce que cela m’a appris ? Que ces assignations ne sont pas biologiques, mais construites. Et qu’en tant que femme, revendiquer une position d’autorité revient souvent à bousculer les règles du jeu. Ça peut déranger, mais c’est aussi une formidable brèche dans l’ordre établi.
Déjouer Les Stéréotypes : Ni Douce Ni Dure, Juste Légitime
On connaît la chanson : un homme qui élève la voix est charismatique, une femme qui fait de même est « hystérique ». Un cadre masculin est ferme, une femme qui dirige est « trop autoritaire ». Inversement, une enseignante bienveillante est soupçonnée de laxisme là où un homme sera perçu comme « à l’écoute ».
J’ai vu tant de femmes en responsabilité moduler leur voix, adoucir leurs propos, craindre d’être perçues comme agressives. J’en ai fait partie. Et puis j’ai compris que je n’avais pas à choisir entre autorité et sensibilité. La légitimité ne tient pas dans la forme, mais dans la cohérence de la posture.
L’éducation, Terrain D’autorité Genrée
Tout commence très tôt. Les garçons, encouragés à s’imposer. Les filles, à « faire plaisir », à éviter le conflit. Les jouets eux-mêmes – voitures, capes de super-héros vs. dinettes et poupons – installent dès l’enfance des imaginaires d’action ou de soin. À l’école, on attend des filles qu’elles soient sages, des garçons qu’ils se défoulent.
Je me demande : et si on enseignait à tous les enfants qu’ils peuvent être à la fois forts et attentifs, capables de décider et d’écouter ? Une autorité équitable commence là : dans la reconnaissance que chacun peut incarner cette fonction symbolique, indépendamment du genre.
Prendre Sa Place Sans « Jouer L’homme »
Pendant longtemps, j’ai cru qu’il fallait singer les hommes pour être prise au sérieux. Parler fort, couper la parole, occuper l’espace. Jusqu’à m’y perdre. Je n’étais ni moi, ni crédible. C’est en osant la nuance, l’ambivalence, le doute même, que j’ai trouvé ma voie.
Oui, je suis une femme. Oui, j’exerce l’autorité. Et je le fais sans renier mon écoute, mon intuition, mes hésitations parfois. Ce sont des forces. Ce n’est pas un déguisement. C’est un choix.
Vers Une Nouvelle Éthique Du Pouvoir
La psychanalyse nous invite à distinguer autorité et domination. L’une est structurante, l’autre écrasante. Dans cette perspective, l’autorité ne réside pas dans la force mais dans la capacité à nommer, à poser des limites claires, à tenir une place.
Et si on imaginait une autorité dialogique ? Une autorité qui ne serait plus un sommet à atteindre, mais une posture à incarner : celle de la responsabilité, de la reconnaissance mutuelle, de la parole tenue. Il ne s’agit pas de renverser les rôles, mais de les redéfinir.
Conclusion : Je, Femme, Et Pourtant Légitime
Alors non, l’autorité n’a pas de sexe. Mais elle porte les traces de tant d’histoires, de silences, d’injustices. Il est temps de l’habiter autrement. Avec fermeté, avec tendresse, avec l’audace de celles et ceux qui refusent les cases.
Et vous, comment habitez-vous votre propre autorité ? À qui avez-vous appris à l’accorder, à la contester, à la revendiquer ?






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