Et Si L’Europe Cessait De Se Regarder À Travers Les Yeux De L’Amérique Pour Enfin Se Reconnaître Dans Sa Propre Lumière ?
Je me souviens de mes dix ans, recroquevillée sur le canapé familial, hypnotisée par Friends en version originale. Manhattan devenait mon centre du monde. Le rire en fond sonore, les cafés en gobelets, les chemises oversize… tout me semblait plus vivant, plus vrai là-bas. Et pourtant, en grandissant, une question s’est glissée entre deux épisodes : pourquoi cette fascination ? Et surtout, à quel prix ?
Aujourd’hui, à l’heure où l’Europe cherche ses repères, je veux interroger cette americanolâtrie qui nous façonne plus qu’on ne veut l’admettre.
Le Rêve Américain, Made In Europe
Partout autour de moi, l’Amérique s’infiltrait : dans la langue que l’on apprend dès la maternelle, dans les films que l’on vénère, les marques qu’on imite, les slogans qu’on répète sans plus les traduire. À l’université, c’était encore Harvard qui brillait comme un Graal, et non Heidelberg ou la Sorbonne. Moi aussi, j’ai rêvé USA. J’ai voulu y aller, y vivre, y réussir.
Mais ce rêve n’était-il pas déjà celui de quelqu’un d’autre ? Nous buvons à cette source américaine avec une ferveur étrange, sans toujours en comprendre le goût ni les effets.
Quand Le Rêve Se Fissure
Le vernis s’est écaillé doucement. D’abord à travers les guerres « préventives », les prisons secrètes, la diplomatie à sens unique. Puis avec la brutalité de Trump, révélant une Amérique moins alliée que stratège. L’article du blog « Descartes – L’Oncle Sam est une ordure » m’a confortée : il y dénonçait la naïveté européenne face à un partenaire qui pense d’abord à lui-même.
J’ai alors senti ce trouble grandir en moi : et si nous projetions trop, espérant un sauveur là où il n’y a qu’un empire, pragmatique, parfois brutal ?
Une Idolâtrie Qui Nous Empêche D’être Nous-Mêmes*
À force de se rêver américains, que reste-t-il de notre voix propre ? Où sont passés nos récits fondateurs, notre humanisme, notre capacité à penser la nuance ? Un jour, à Athènes, j’ai ressenti ce qu’être européenne signifie : marcher entre ruines et modernité, entre mémoire et invention. Et pourtant, dans les débats, dans nos choix culturels, l’écho américain écrase souvent le murmure européen.
Nous nous regardons à travers un miroir qui déforme, grossit, standardise. Et si nous commencions par nous regarder les uns les autres, ici ?
Reconstruire Une Voix Européenne Autonome
Repenser l’Europe commence par réapprendre à penser sans traduction. L’école doit transmettre la richesse de nos langues et récits. Nos médias doivent arrêter de calquer leurs grilles de lecture sur CNN ou le New York Times. Nos artistes ont besoin d’un écosystème qui valorise la création locale sans exotisme forcé.
Des initiatives comme *ARTE*, ou des penseurs comme Julia Cagé ou Pierre Charbonnier, nous montrent qu’il est possible de penser un progrès ancré, critique et fécond. L’Europe n’a pas besoin d’imiter pour innover.
Réapprendre À S’aimer Sans Modèle
Il est temps d’oser l’introspection, non pour se replier, mais pour se redéfinir. Qu’avons-nous à dire au monde ? Peut-être pas des slogans. Peut-être pas des superproductions. Mais une certaine idée de la lenteur, du lien, du politique comme soin collectif.
J’aime à penser l’Europe comme une vieille bibliothèque aux fenêtres grandes ouvertes. Le vent y tourne les pages, mais c’est à nous d’écrire la suite. Un récit sans copies, sans filtres, plus fragile peut-être, mais infiniment plus libre.
Conclusion
Cesser de s’agenouiller devant l’idéal américain, ce n’est pas renier ce qu’il nous a apporté. C’est simplement apprendre à penser par nous-mêmes, debout, un peu plus lucides. L’Europe n’est pas un satellite : elle est une pluralité de mondes.
Et peut-être, oui, faut-il un peu de distance pour apprendre à danser avec son propre reflet.






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