Ma Réflexion Face À Une France Qui Se Coupe D’elle-Même
Depuis plusieurs mois, une inquiétude sourde s’installe en moi. Une inquiétude nourrie par des constats que je fais, au quotidien, dans mes interactions avec ce qu’il reste du service public. Je suis de celles qui prennent un rendez-vous à l’hôpital des semaines à l’avance, de celles qui attendent que le RASED se débloque pour accompagner un enfant en difficulté, de celles qui ont vu une proche quitter l’Éducation nationale, usée jusqu’à l’os.
Je ne suis pas fonctionnaire. Mais je suis citoyenne, proche de gens qui le sont. J’ai grandi avec l’idée que l’État nous tenait la main dans les moments clés. Aujourd’hui, je regarde cette main se refermer. Ce sentiment s’est intensifié à la lecture d’un article publié sur Rapports de Force, qui dénonce une vaste opération de « ménage » dans la fonction publique. Un mot doux pour une opération brutale. Et alors que la mobilisation prévue pour le 13 mai 2025 approche, j’éprouve le besoin de poser des mots sur ce que je ressens. Pas pour juger. Pour raconter. Pour relier.
Une Réforme Qui Parle D’efficacité Mais Crée Du Vide
Ce que révèle l’article de Rapports de Force, c’est une stratégie administrative habillée de promesses : simplification, rationalisation, modernisation. Derrière ces mots, la réalité est moins reluisante : 15 milliards d’économies visés d’ici 2027, la suppression de plusieurs milliers de postes, la fusion d’agences publiques, et une pression accrue sur les agent·e·s restants. Le tout dans une logique de redéploiement qui ressemble plus à un effacement qu’à une restructuration.
Je n’ai pas besoin de lire des rapports pour en percevoir les effets. Je les vis déjà. Il y a quelques mois, le centre des impôts de ma commune a fermé. Pour une demande urgente, j’ai dû appeler un numéro surtaxé qui me renvoyait inlassablement vers un formulaire en ligne. Un formulaire qui ne répondait pas à ma question. J’ai raccroché avec un sentiment amer : j’étais devenue une ligne de code parmi d’autres.
Même chose à l’école : classes surchargées, remplaçant·e·s introuvables, fatigue généralisée. Les services s’effacent, les visages aussi. À force de vouloir « faire mieux avec moins », on finit par faire moins. Point.
Ce Qui Ne Se Voit Plus Mais Qui Se Vit Chaque Jour
La rhétorique gouvernementale excelle dans l’art de l’euphémisme. On ne supprime pas, on réalloue. On ne ferme pas, on optimise. Ce discours de la « sobriété publique » masque un effritement progressif de nos droits collectifs. Et cela n’a rien de singulier à la France. L’Argentine, par exemple, a connu des vagues de privatisations massives dans les années 1990, sous prétexte de modernisation. Résultat : une explosion des inégalités et un accès aux services de base devenu un luxe pour les plus modestes. Aux États-Unis, la privatisation des prisons ou de l’éducation a eu les mêmes effets délétères. L’efficience à tout prix finit souvent par coûter plus cher, humainement.
Je me souviens d’une phrase lancée dans la salle d’attente d’un cabinet médical débordé : « Il va falloir être indulgent·e, il est seul à gérer trois postes ». Cette phrase, anodine en apparence, disait tout. On s’habitue à l’impossible. Et, pire, on culpabilise de déranger. Comme si avoir besoin de soins, d’une école, d’un accompagnement social, relevait de l’abus. Le service public devient alors un luxe ou une dette morale.
Et Si On Changeait De Logique ?
Il y a pourtant d’autres voies possibles. D’autres manières de faire société. Une réforme courageuse de la fiscalité permettrait non seulement de financer les services publics, mais de rétablir une forme de justice sociale. Selon Attac France, les 100 plus grandes multinationales ont généré en 2022 plus de 1 000 milliards de dollars de profits, dont une large partie a échappé à l’impôt via l’évasion fiscale. Taxer les superprofits, revoir les niches fiscales, fermer les portes de l’optimisation légale : ce sont là des leviers concrets.
Je crois à un État qui protège, pas à un État qui comptabilise. L’argent existe. Il est là, mais mal réparti. Et quand on préfère tailler dans l’hôpital plutôt que dans les dividendes, ce n’est pas une fatalité économique. C’est un choix politique.
Les Voix Que Je Retiens, Les Visages Que Je Croise
Mon père a été fonctionnaire territorial pendant plus de trente ans. Je me souviens de sa fierté d’appartenir à un service qui reliait, qui accompagnait, qui soutenait. Il ne comptait pas ses heures, mais comptait pour les gens. Aujourd’hui, il ne comprend plus les directives données à ses collègues encore en poste. Le lien humain disparaît derrière des tableaux Excel.
Je pense aussi à cette amie, éducatrice spécialisée, qui a failli tout plaquer après une agression non prise en compte par sa hiérarchie. Pas par négligence volontaire, mais parce que les services RH sont eux aussi en surcharge chronique. Ce ne sont pas des anecdotes. Ce sont des alertes.
Ces visages, ces parcours, me rappellent que derrière chaque réforme budgétaire, il y a des vies. Des missions. Une utilité qui dépasse largement la rentabilité.
Quand La Mobilisation Devient Une Question De Dignité
Alors oui, le 13 mai, je soutiendrai cette mobilisation. Pas par nostalgie. Pas par idéologie. Par conviction. Ce n’est pas seulement une grève. C’est un cri. Celui d’une société qui refuse de se résigner.
On peut s’engager de mille façons. En parlant autour de soi. En relayant des témoignages. En informant. Ce n’est pas une affaire de militant·e·s. C’est une question de dignité collective. Parce qu’un jour ou l’autre, nous aurons toutes et tous besoin de ce service public que l’on dégraisse à coups de mots doux.
Parce Que Défendre Le Service Public, C’est Se Défendre Soi-Même
Ce que j’ai voulu partager ici, c’est plus qu’une analyse : c’est une alerte intime. Une tentative de rendre visibles celles et ceux que l’on invisibilise.
L’austérité n’est pas neutre. Elle blesse.
Elle fragilise les agent·e·s, appauvrit les usager·e·s, déshumanise les missions.
Je continuerai d’écrire, d’écouter, de témoigner. Parce que chaque histoire compte. Et parce que je refuse qu’on parle d’économies en ignorant ce qu’on perd.
Et vous, quelle a été votre dernière vraie rencontre avec le service public ?






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