Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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La Corse, Entre Singularité Et Lien National

 Vers Une Autonomie Encadrée Qui Rassemble Sans Diviser

Chaque fois que je pose le pied en Corse, je sens ce mélange vibrant de fierté et de fragilité. La brise qui remonte des criques, le relief escarpé, les conversations en corse échappées des marchés ou des cafés : tout me rappelle que cette île est une voix singulière au sein d’un chœur national. Ce lien profond à la terre, je le ressens viscéralement, comme une mémoire transmise. Ce n’est pas un folklore, c’est une réalité vivante, complexe, souvent blessée. Et c’est pour cela que le débat sur l’autonomie encadrée me parle autant. Il me parle de reconnaissance, de justice, de la possibilité d’un autre rapport au pouvoir – plus proche, plus à l’écoute, plus enraciné.

Ce qui se joue à travers cette démarche, c’est un équilibre fragile : comment permettre à la Corse d’avoir plus de marges de manœuvre, de mieux répondre aux attentes de ses habitant·e·s, sans pour autant créer des lignes de fracture dans la République ? Le rapport demandé par le gouvernement à la mission présidée par Gilles Simeoni aborde justement cette tension. Il s’agit de faire émerger une forme de différenciation qui ne soit pas une rupture mais une respiration. Dans une époque marquée par la montée des revendications identitaires, cette question prend un relief particulier : elle interroge notre capacité collective à accueillir la pluralité sans y voir une menace.

Ce que ce rapport propose, je le perçois comme une main tendue, certes imparfaite, mais nécessaire. Il se décline en trois volets qui méritent d’être entendus. Le premier est institutionnel : donner à la collectivité de Corse plus de leviers d’action, notamment dans les domaines de la fiscalité, de l’environnement, ou du développement économique. Ensuite, la dimension culturelle : reconnaître la langue corse comme une langue de transmission, avec une volonté claire de généraliser son apprentissage dès l’école. Enfin, la question territoriale : envisager un statut de résident·e pour lutter contre la spéculation immobilière, protéger l’accès au logement des insulaires, et préserver une forme de souveraineté foncière. Cette approche me paraît équilibrée. Elle ne cherche pas la rupture, mais une évolution mesurée, structurée, coconstruite. C’est ce « juste milieu » qui me semble porteur d’espoir.

Mais je ne veux pas nier les doutes. Qui définira précisément les contours de cette autonomie ? Quels garde-fous pour garantir qu’elle ne creusera pas de nouvelles inégalités ? Comment faire en sorte que les décisions locales ne reproduisent pas, à leur échelle, des logiques d’entre-soi ou de clientélisme ? L’autonomie n’est pas une formule magique, elle est un outil. Tout dépend de la manière dont on s’en saisit, collectivement.

Je me rappelle cette discussion, à l’automne dernier, avec une agricultrice de Balagne. Elle me parlait de la difficulté croissante à transmettre ses terres à ses enfants, de l’angoisse de voir les villages se vider, de la sensation d’être invisible aux yeux de Paris. Elle m’a dit cette phrase que je n’ai jamais oubliée : « Ici, on a le sentiment qu’on doit se battre deux fois : pour rester, et pour exister ». C’est exactement cela que cette réforme pourrait apaiser. Non pas en imposant un modèle, mais en laissant émerger une voix, un souffle propre à l’île. J’ai toujours eu un attachement particulier aux langues régionales. Elles racontent des mondes. Elles disent la terre, la mer, les gestes. Elles sont notre mémoire commune. En Corse, chaque panneau bilingue, chaque chanson fredonnée dans le bus, chaque mot échangé dans cette langue me rappelle combien la transmission est aussi un acte de résistance.

Le logement est un autre point de friction, très tangible. Comment justifier qu’un·e jeune de l’île ne puisse pas se loger dignement là où sa famille vit depuis des générations, pendant que des résidences secondaires restent vides onze mois par an ? Le statut de résident·e, tel qu’envisagé dans le rapport, n’est pas un caprice identitaire, c’est une mesure de justice sociale. Elle répond à un réel déséquilibre, et je crois qu’il est temps d’en parler sereinement, sans caricature.

Dire que cette autonomie doit être encadrée n’est pas une forme de méfiance, c’est une exigence de cohérence. L’encadrement, ce n’est pas le contrôle : c’est la garantie que cette évolution serve bien celles et ceux qui y vivent, qui y travaillent, qui y construisent leur avenir. L’autonomie ne doit pas être une vitrine, ni un écran de fumée. Elle doit être discutée, éprouvée, partagée. Rien ne peut se faire dans la méfiance ou dans l’entre-soi. L’État doit accepter de lâcher une part de centralité, et les acteurs locaux doivent prendre la mesure de cette responsabilité nouvelle. Ce n’est pas une simple décentralisation technique, c’est un pacte démocratique à réinventer.

Et si, au fond, cette expérience corse ouvrait une voie pour d’autres territoires ? Les Hauts-de-France, les Outre-mer, les zones rurales éloignées : partout, on entend des appels à plus de reconnaissance, plus de liberté, plus de proximité. La France a toujours été un pays de diversité, d’accents, de paysages, de traditions. Et si l’on cessait de voir cette richesse comme un risque pour l’unité ? Je rêve d’une République qui soit non pas uniforme, mais unie dans la différence. Une République qui accueille ses multiples visages, qui valorise ses marges, qui transforme ses singularités en forces partagées.

Ce débat me touche aussi en tant que femme. Parce que l’autonomie, c’est aussi une question de pouvoir et de voix. Et je crois que les voix minorées, qu’elles soient corses, féminines, rurales ou périphériques, méritent d’être entendues avec plus d’attention. Une attention qui ne se contente pas de gestes symboliques, mais qui transforme réellement les équilibres. C’est là, dans ce passage de la parole à l’acte, que tout peut changer.

Et vous, avez-vous déjà ressenti ce tiraillement entre racines locales et horizon national ? Comment pensez-vous qu’on puisse les réconcilier sans les diluer ?

 


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