Réflexion Sur La Liberté D’expression, La Critique Religieuse Et Le Courage Du Désaccord Respectueux
Il m’est arrivé récemment, au détour d’une conversation entre collègues, d’évoquer une tribune que j’avais lue sur l’usage du mot « islamophobie ». La réaction immédiate d’un·e des participant·e·s a été : « Tu ne vas pas te mettre à défendre ceux qui détestent les musulmans, quand même ? ». Cette phrase m’a profondément troublée, non pas parce qu’elle exprimait un désaccord, mais parce qu’elle illustrait cette confusion croissante entre la critique d’une religion et la haine envers celles et ceux qui y croient. C’est cette confusion, justement, qui m’a poussée à écrire aujourd’hui.
Je n’ai pas peur des religions. Ce sont leurs représentant·e·s autoproclamé·e·s, et parfois leurs usages politiques, qui m’inquiètent. Et c’est justement parce que je défends ardemment le droit de croire comme celui de ne pas croire que je crois aussi à l’absolue nécessité de pouvoir débattre librement de toutes les religions, comme de toute idéologie. Cette réflexion n’est ni une charge, ni un plaidoyer. C’est une tentative honnête de faire la part des choses.
En lisant récemment un article critique sur le terme « islamophobie », j’ai été frappée par la lucidité avec laquelle il posait une question de fond : peut-on encore critiquer une religion sans être accusé·e de racisme ? Le texte revenait notamment sur l’évolution du mot, passé d’un usage marginal au début du XXe siècle à une arme rhétorique parfois utilisée pour disqualifier toute voix dissidente. Il rappelait aussi que des définitions floues et extensives du terme finissent par menacer la liberté d’expression, en amalgamant rejet des personnes et désaccord avec des croyances.
C’est précisément ce glissement qui me dérange. J’ai l’impression que nous vivons dans une époque où la peur d’offenser prime sur la volonté de comprendre. Dire que l’on critique une religion devient une prise de risque, un saut dans l’inconnu du malentendu. Ce n’est plus tant ce que l’on dit qui est jugé, mais ce que l’on suppose que l’on pense. Le langage lui-même semble miné. Pour moi, la définition est simple, c’est la contraction du mot islam et du mot phobie (peur), donc c’est la peur de l’islam. Le terme « islamophobie », au lieu d’éclairer, finit par brouiller. Il empêche la discussion là où il prétend la rendre possible.
La liberté d’expression, pour moi, est un bien commun, un socle démocratique inaliénable. Elle ne consiste pas à dire n’importe quoi, mais à pouvoir dire ce que l’on pense avec rigueur et respect. J’ai en mémoire une discussion où, après avoir évoqué la place des femmes dans certaines interprétations religieuses, j’ai été coupée net·te par une injonction à ne pas « alimenter les clichés ». Pourtant, mon intention n’était pas de heurter, mais d’interroger. C’est dans ces moments que l’on mesure à quel point cette liberté est fragile, souvent défendue à demi-mot, ou conditionnée par la peur du malentendu.
Parler librement ne signifie pas parler brutalement. Nous avons toutes et tous un rôle à jouer pour bâtir un espace discursif où les idées peuvent être challengées sans que les personnes ne soient agressées. La critique, dès lors qu’elle est fondée, argumentée, exempte de mépris, est un acte d’intelligence partagée. Ce n’est ni de la haine, ni du mépris. C’est le désir de faire progresser la pensée.
C’est pourquoi je crois qu’il est urgent de clarifier les termes. Définir avec précision ce que recouvre la notion d’« islamophobie », c’est lever les malentendus, libérer la parole, éviter les amalgames. Cette clarté permet aussi de faire la différence entre une critique légitime, même vigoureuse, et un propos discriminatoire. J’ai récemment échangé avec une jeune femme croyante avec laquelle nous avons discuté – sans nous accorder – de la place du religieux dans l’espace public. Ce dialogue n’a été possible que parce que nous avons accepté l’idée que le désaccord n’est pas une agression.
Mon propre parcours m’a enseigné cela. Plus jeune, j’évitais les sujets sensibles, de peur de blesser ou d’être mal comprise. Aujourd’hui, j’ose davantage, avec humilité mais sans censure. J’ai appris que le conflit n’est pas l’ennemi du respect, tant qu’il est mené avec sincérité. Cette évolution personnelle me pousse à défendre une parole franche, mais consciente de son impact.
Ce que je retiens, au fond, c’est que la liberté d’expression n’est pas une option. Elle est ce qui nous permet d’éprouver, de questionner, de progresser. Elle est exigeante, elle demande du courage, elle demande aussi du tact. Mais elle est indispensable. Je continuerai à défendre cette liberté, même lorsqu’elle dérange, parce qu’elle est la condition d’un vivre-ensemble sincère.
Et vous ? Que pensez-vous de la façon dont nous parlons aujourd’hui des religions ? Avez-vous, comme moi, parfois hésité à formuler un doute, une critique, de peur d’être mal compris·e ? Partagez vos réflexions, vos nuances, vos histoires. C’est ensemble que nous ferons vivre cette parole libre et respectueuse.






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