Quand Le Corps Devient Terrain De Luttes, Il Est Urgent De Repenser La Place Du Sport Dans Notre Société
Je revois encore cette piste d’athlétisme rouge brique, l’odeur du caoutchouc sous mes baskets, et le souffle court d’une course sans enjeu apparent, si ce n’est celui d’exister pleinement. J’avais treize ans. Ce jour-là, je courais pour la première fois sans mon survêtement trop grand, sans injonction, sans contrainte. Pour moi, le sport a toujours été un espace d’émancipation. Un lieu d’intensité pure, où le corps trouve sa voix sans avoir à se justifier. Mais dans un monde où les tensions politico-religieuses s’intensifient, je me demande : que reste-t-il de cette liberté quand le sport devient l’objet d’instrumentalisations ? Cette question me hante, comme femme, comme citoyenne, comme témoin d’un glissement insidieux de ce que nous considérons comme neutre.
Ce texte naît d’une indignation, d’un trouble ressenti à la lecture d’une analyse percutante sur la neutralité dans le domaine sportif, particulièrement à l’aube des Jeux Olympiques de Paris. Une réflexion dense, critique, sur les offensives religieuses qui utilisent le sport pour propager des idéologies contraires aux valeurs de liberté et d’égalité. Sans jamais tomber dans le simplisme ni la stigmatisation, cette analyse pose une question essentielle : comment préserver la neutralité du sport, tout en respectant la diversité des convictions ? C’est cette approche qui m’a convaincue. Car au-delà des débats techniques, elle touche à ce qui m’importe profondément : l’intégrité du corps et la possibilité, pour chacun·e, de se mouvoir librement, sans contrainte idéologique.
L’analyse met en évidence la montée de revendications religieuses dans l’espace sportif, souvent sous couvert de liberté individuelle. Elle montre que certains signes ostensibles ne relèvent pas du simple choix personnel mais s’inscrivent dans une logique de conquête symbolique. Le cas de certaines sportives ayant modifié leur tenue entre les compétitions et les cérémonies olympiques illustre bien cette ambiguïté. L’auteure rappelle aussi le courage des athlètes du Maghreb, comme Hassiba Boulmerka, qui ont dû affronter des menaces pour avoir refusé les injonctions à se voiler, affirmant ainsi une liberté fondamentale : celle de disposer de leur corps. Ces exemples m’ont profondément marquée, car ils révèlent la force du sport comme espace de résistance, mais aussi sa vulnérabilité face aux récupérations politiques.
Le sport, pour moi, c’est d’abord un territoire d’expression. Il n’est ni neutre, ni innocent, mais il doit tendre vers cette neutralité qui garantit l’égalité. J’ai moi-même vécu un moment où ma pratique sportive a été mise à l’épreuve par une règle de tenue imposée dans un club. On me demandait de porter une jupe pour respecter une prétendue « harmonie féminine ». J’ai refusé. Ce n’était pas un choix, c’était une contrainte. Cela m’a appris que la liberté de mouvement va au-delà du geste : elle concerne ce que l’on accepte ou non de faire porter à son corps, symboliquement et physiquement. Dès lors, comment savoir si une tenue religieuse dans le sport relève d’un choix ou d’une injonction intériorisée ? Et surtout, qui a le droit de poser cette question ?
Je défends une neutralité protectrice, non pas parce que je souhaite gommer les différences, mais parce que je crois en un espace commun, où chacun·e peut venir sans craindre d’être assigné·e à une identité. Cette neutralité est un bouclier, pas une barrière. Elle protège les individus contre les récupérations idéologiques, contre le prosélytisme, contre la pression sociale ou communautaire. J’ai vu des adolescentes abandonner le sport à l’adolescence parce qu’elles ne voulaient pas porter le voile mais qu’elles ne voulaient pas non plus s’exposer aux regards réprobateurs. La neutralité aurait pu les préserver de ce dilemme douloureux.
Ce combat pour la liberté du corps, je l’ai aussi mené en dehors du sport. Lors d’une réunion professionnelle, on m’a conseillé de « modérer ma tenue » pour éviter d’attirer l’attention. Ce jour-là, j’ai compris que la neutralité ne signifie pas se fondre dans la norme imposée, mais s’extraire des logiques de contrôle. C’est cette leçon que je veux transposer au sport. Que l’on soit croyant·e ou non, la neutralité doit garantir la liberté de chacun·e, non la restreindre.
Il me semble aujourd’hui urgent que les institutions sportives réaffirment avec clarté leur attachement à la laïcité. Mais cela ne suffit pas. En tant que citoyen·ne·s, nous avons aussi un rôle à jouer pour défendre les espaces publics contre les tentatives d’instrumentalisation. Le sport, comme l’école ou la culture, fait partie de ces territoires communs que nous devons protéger, non pas contre les personnes, mais contre les idéologies qui les divisent.
Le sport ne doit jamais devenir un outil de domination, ni une vitrine idéologique. Il est et doit rester un refuge, un souffle, un lieu d’égalité réelle. Je garde espoir. Parce que je crois encore à ces corps en mouvement, à ces visages ouverts, à cette énergie partagée. Mais il nous appartient, collectivement, de faire en sorte que cette liberté perdure.







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