En Corse, L’aspiration À L’autonomie Et Le Choix D’un Parti Centralisateur Cohabitent Dans Un Silence Complexe, À La Fois Politique Et Intime
C’est peut-être le bruit du vent dans les branches sèches du maquis qui me revient d’abord. Cette façon qu’a l’île de murmurer à l’oreille, de rappeler que rien ici n’est jamais tout à fait linéaire. Il y a dans le paysage corse une densité qui ne se résume pas : la pierre et la mer, l’orgueil et la blessure, la langue et les silences. J’y ai vu des villages perchés sur des crêtes, fiers et fatigués à la fois, comme leur mémoire. Et j’ai senti dans certains regards une loyauté plus forte que les discours, plus enracinée que les mots.
Depuis longtemps, je suis ces mouvements d’âme que provoque le politique en Corse. Ils me touchent parce qu’ils bousculent les certitudes, qu’ils invitent à penser au-delà des cases. Ce qui m’interpelle aujourd’hui, c’est cette apparente contradiction : comment une terre qui revendique si vivement son identité, qui se bat pour sa langue, ses terres, sa singularité, peut-elle offrir un accueil électoral à un parti qui revendique une République une et indivisible, peu portée sur les nuances insulaires ? Ce n’est pas un jugement, c’est une question. Une de celles qui griffent doucement l’esprit.
Le récent déplacement d’un chef de file politique en Corse, avec ses prises de parole affirmées, a ravivé cette interrogation. Il a parlé d’amour de la France, de respect des Corses, tout en rejetant catégoriquement l’idée d’autonomie. Il s’est présenté comme un homme de proximité, insistant sur l’abandon dont souffrent les territoires, tout en défendant une vision centralisatrice de l’État. Et ce double discours, bien rôdé, semble avoir trouvé un écho. Comme s’il résonnait avec une fatigue, une lassitude, un besoin de fermeté dans un monde flou. Comme si la promesse d’un État fort rassurait, là où les revendications locales peinent à déboucher sur du concret.
Cela m’interroge, profondément. Peut-on aimer la Corse et voter contre son autonomie ? Peut-on vouloir préserver une identité sans la doter des moyens de son émancipation politique ? Je me souviens d’un été, à Corte, d’un vieil homme qui parlait corse sans jamais voter pour les partis dits « autonomistes ». Il disait : « J’ai trop vu la République nous tourner le dos pour croire qu’on nous écoutera mieux seuls ». C’était dit sans amertume, presque avec tendresse. Une forme de pragmatisme, de désenchantement lucide. Il y a là, peut-être, une part de la réponse.
Mais ce que je ressens, c’est aussi un malaise. Celui d’une République qui se souvient de la Corse quand elle y voit un enjeu stratégique ou électoral, mais qui peine à comprendre ce que signifie vivre ici, loin des centres. Je ne peux m’empêcher de douter quand j’entends certains responsables évoquer l’île comme un « joyau français » sans jamais évoquer son histoire, ses luttes, ses blessures. La reconnaissance passe par l’écoute, pas par la récitation d’un catéchisme national.
Il serait temps d’imaginer une République capable d’intégrer la pluralité de ses territoires, une République qui sache conjuguer unité et diversité. Cela suppose un modèle moins vertical, moins jacobin, qui fasse de l’autonomie non pas une menace, mais un acte de confiance. Des travaux comme ceux de l’Institut Montaigne ([Source]) plaident pour une décentralisation accrue et mieux adaptée aux réalités locales. La Corse, avec son identité affirmée, pourrait être un laboratoire de cette refondation démocratique.
Mon regard est celui d’une femme habitée par les nuances. Ce que je souhaite, ce n’est pas imposer une vision, mais créer un espace où les tensions se disent, se comprennent, se traversent. J’ai foi dans les conversations lentes, dans les récits qui tissent. Habiter les contradictions, c’est aussi refuser les réductions hâtives. La Corse n’est ni figée dans un passé glorieux, ni condamnée à subir des choix extérieurs. Elle est en devenir. Elle mérite qu’on l’écoute sans lui parler à la place.
Alors oui, je continue d’écrire. Pour questionner ce qui semble aller de soi. Pour rappeler que dans chaque vote, il y a plus qu’une adhésion : il y a une histoire, une mémoire, une stratégie de survie parfois. Et c’est cela qu’il faut lire, au-delà des chiffres.
C’est aussi pour cela que j’écris. Pour tisser des fils entre ce qui divise et ce qui unit.







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