Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Le Coming Out : Quand La Maison Se Tait

Restaurer Le Lien Familial Après Un Coming Out Douloureux

Je revois encore les rideaux de la cuisine danser doucement dans la lumière du matin. L’odeur du café flottait entre les murs, familière, presque rassurante. Ce jour-là, j’avais quinze ans et un monde entier dans la gorge. Je l’ai dit comme on dépose un galet chaud sur une table froide : Maman, je crois que j’aime les filles. Elle a continué à remuer sa tasse sans me regarder. Elle n’a rien dit. Et ce silence-là a résonné plus fort que n’importe quel cri.

C’est souvent comme ça. Ce n’est pas l’explosion, c’est la fracture muette. On pense que le foyer est un abri, un lieu où l’on peut être soi sans détour. Mais parfois, à peine le mot dit, à peine l’identité révélée, la maison se transforme. Les regards deviennent flous, les gestes s’espacent. Ce qui était chaleur devient distance. On comprend, sans que personne ne le formule, qu’on est devenu·e un mystère embarrassant.

J’ai mis des années à comprendre que ce rejet ne portait pas toujours le nom de haine. Il arrive qu’il s’habille de soupirs, de prières murmurées, de recommandations étranges – ne le dis pas à ta grand-mère, ça va passer. Une amie me confiait que ses parents ont mis ses vêtements dans des sacs, sans un mot, après qu’elle a parlé. Un garçon a dû quitter la maison à dix-sept ans, après que son père a changé la serrure. Ces histoires sont plus nombreuses qu’on ne l’imagine.

Une étude relayée par Slate en 2022 révélait que les jeunes LGBT+ sont surreprésenté·e·s dans les situations de rupture familiale, notamment après un coming out ([Source]). Plus d’un quart de ces jeunes ont connu un rejet explicite ou implicite de leur entourage immédiat. Mais derrière ces chiffres, il y a des peaux, des respirations, des chagrins. Et souvent, une incompréhension partagée.

J’ai fini par comprendre que ce que je vivais n’était pas isolée. Que cette douleur avait des racines profondes, pas toujours visibles. Dans certaines familles, la religion ou la culture agit comme un ciment qui ne laisse pas de place au mouvement. Aimer autrement, être autrement, c’est perçu comme une faille. Pas parce qu’on est aimé·e moins, mais parce que les repères tremblent. C’est comme si une maison mal aérée étouffait ses habitant·e·s sans le vouloir.

Je me rappelle ce père, croisé lors d’un cercle de parole animé par l’association Contact. Il tenait dans ses mains une lettre que son fils lui avait écrite. Il n’avait pas su y répondre pendant des mois. Et ce soir-là, il a simplement dit : J’ai eu peur. J’ai cru que j’avais échoué comme père. Ce qu’il avait vécu comme une trahison, il le reconnaissait maintenant comme une vérité nécessaire. Sa voix tremblait, mais dans ses yeux, il y avait une première lumière.

C’est par là que passe la réconciliation, je crois. Ressentir d’abord, sans se défendre. Comprendre ensuite, non pas pour excuser, mais pour relier. Puis oser un geste : écouter sans couper, reformuler sans corriger, poser une question sans attendre de réponse immédiate. Ces petits mouvements sont de vrais élans. Ils ne réparent pas tout d’un coup, mais ils laissent entrevoir une possible réparation.

L’intelligence émotionnelle ne se décrète pas, elle se cultive. Une mère qui lit le témoignage d’un autre parent. Un grand-père qui pose une main sur l’épaule, sans un mot, mais avec tout l’amour du monde dans le geste. Un adolescent qui enregistre un message vocal, parce qu’il ne peut pas encore parler les yeux dans les yeux. Chaque lien peut être retissé, même effiloché. Parfois, une simple fiche d’écoute imprimée et accrochée au frigo devient le début d’un dialogue.

Ce que j’ai appris, c’est qu’on n’a pas besoin de choisir entre foi et amour, entre tradition et vérité. On peut les faire coexister, à condition de placer l’humain au centre. Ce n’est pas trahir une culture que d’aimer son enfant tel·le qu’iel est. C’est, au contraire, la plus belle forme de fidélité.

Et parfois, tout commence par une main posée sur une tasse de café, dans la lumière du matin. Une main qui ne tremble plus. Qui accepte de rester là, même sans tout comprendre. Parce qu’aimer, c’est ça aussi : rester, et respirer ensemble.


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