Ce Que Cachent Les Promesses De Protection Du Gouvernement
J’étais à Nice pendant le troisième Sommet des Nations unies sur l’océan (UNOC3), observant attentivement cette grande messe diplomatique dont la France, pays hôte, voulait sortir auréolée de vert. La scène était posée : chefs d’État, scientifiques, ONG, citoyen·ne·s engagé·e·s. Les caméras ont capté des discours volontaristes. La France annonçait vouloir protéger 100 % de ses eaux marines, dont 10 % en protection forte. À première vue, l’engagement semblait à la hauteur de l’enjeu climatique et écologique. Mais à force d’écouter entre les lignes, puis de creuser les données, une autre vérité s’est imposée : celle d’un écart inquiétant entre les mots et les actes.
L’un des exemples les plus frappants concerne la Polynésie française, que le président a mise en avant comme territoire phare d’une nouvelle ambition marine. On nous parle d’une immense aire marine protégée couvrant près de 500 000 km². Pourtant, selon l’analyse de l’ONG Bloom, ce chiffre repose en grande partie sur un recyclage de zones déjà protégées depuis des années. Certaines datent de 2018, d’autres avaient été mises en veille, puis réactivées pour l’occasion. On ne peut pas parler de « nouvelle avancée » quand il s’agit de repositionner des pièces déjà connues sur l’échiquier. Cela ressemble à une opération cosmétique plus qu’à une réelle progression écologique.
Pire encore : de nombreuses zones dites en « protection forte » autorisent en réalité des activités extractives, comme la pêche au thon ou le chalutage de fond. Ces pratiques sont pourtant incompatibles avec la définition même d’une aire strictement protégée selon les critères de l’Union européenne ou de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Le Règlement européen 2022/1624 impose une couverture de 30 % d’aires protégées, dont au moins 10 % en protection stricte d’ici 2030. Or, la France, malgré ses annonces, reste loin du compte lorsqu’on examine la réalité réglementaire sur le terrain. À ce jour, à peine 1,6 % de ses eaux bénéficient d’une interdiction réelle de la pêche industrielle, selon les chiffres de Bloom ([Source]).
Ce manque de cohérence entre les engagements politiques et la rigueur écologique se double d’une opacité systémique. Lorsqu’on tente d’accéder aux cartographies des zones protégées, aux arrêtés préfectoraux ou aux textes réglementaires détaillant les interdictions concrètes, on se heurte à un mur. Il n’existe pas de plateforme publique centralisant ces données de façon claire et vérifiable. Et lorsque Bloom interpelle le ministère sur ces contradictions, la réponse du gouvernement ne consiste pas à produire les preuves attendues, mais à accuser l’ONG de mensonge. Cette posture défensive, presque agressive, traduit une gouvernance peu encline à se laisser questionner. Elle alimente un climat de défiance qui nuit profondément à la construction d’une écologie démocratique.
Pourtant, il ne suffit pas de dénoncer ces manquements. Il faut aussi ouvrir des portes. Je crois à la force du discernement citoyen, à la capacité de chacune et chacun à exiger des comptes. Il est possible de signaler les atteintes à l’environnement marin via des plateformes comme Surfrider ou Bloomwatch, de participer à des commissions locales sur les aires marines protégées, ou encore de relayer les actions de collectifs indépendants comme Deep Sea Conservation Coalition. Nous pouvons aussi écrire à nos député·e·s, signer des pétitions exigeant la transparence des politiques marines, ou tout simplement transmettre les outils de décryptage à notre entourage.
Face à l’enfumage, nous devons répondre par une exigence de clarté. Pas pour humilier ou discréditer, mais pour renforcer ce qui devrait être un bien commun : la gouvernance de l’océan. Car sans vérité, il n’y a pas de justice écologique. Et sans accès libre à l’information, il n’y a pas de mobilisation possible. Alors, oui, restons lucides face aux effets d’annonce. Mais restons aussi en mouvement, en réseau, et en éveil.
Protéger l’océan ne se décrète pas à la tribune : cela se construit, pas à pas, à partir de faits, de lois claires, de contrôle citoyen et de courage politique. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer l’incohérence, mais de créer ensemble des contre-pouvoirs actifs, fondés sur la rigueur, la coopération et une écologie du réel.






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