Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Corse : Réparer L’Absence Par La Présence

Corse : Réparer L’Absence Par La Présence

Pour Une Justice Territoriale Enracinée En Corse

Aujourd’hui encore, je me glisse dans la peau d’une femme corse.

Quand la poste de mon village a fermé ses portes, j’ai ressenti bien plus qu’un simple inconvénient logistique. Ce n’était pas seulement la fin d’un service, c’était la disparition d’un repère, d’un lieu de vie, d’un signe concret que nous faisions encore partie d’un tout national. J’ai vu dans ce rideau métallique abaissé quelque chose de plus vaste, de plus insidieux : une absence de l’État qui, au fil du temps, s’était faite si familière qu’on finissait presque par ne plus la nommer. Pourtant, « je ne pouvais pas m’y résoudre ». Et plus je parlais avec mes voisin·e·s, plus je comprenais que cet effacement progressif du service public nous parlait d’un abandon plus profond. En Corse, cette absence résonne d’une manière singulière. Ici, la perte d’un bureau de poste ou d’une école n’est jamais anodine. Elle touche à notre lien au territoire, à la reconnaissance de notre existence dans le regard républicain.

C’est dans ce contexte que j’ai choisi de défendre une approche de justice territoriale différenciée, qui tient compte de l’insularité, de la géographie humaine et des histoires vécues. Il ne s’agit pas de plaquer des solutions venues d’ailleurs, mais de construire des réponses enracinées, pensées avec et pour les habitant·e·s. Cette vision n’est pas idéologique, elle est pragmatique. Elle part du terrain, des besoins exprimés et des réalités vécues.

En analysant les effets du retrait des services publics dans les zones rurales et périurbaines, plusieurs chercheur·e·s ont montré que ce phénomène n’est pas neutre. Il alimente le sentiment d’abandon, exacerbe les inégalités territoriales et participe à la montée des votes protestataires, surtout celui de l’extrême droite.

L’étude portant sur la période 1998-2018 évoque une baisse significative de la présence publique dans les territoires moins connectés aux métropoles, avec une corrélation nette entre ces retraits et le vote populiste. Loin d’être purement technique, la fermeture d’un service public est vécue comme une forme de déclassement silencieux, une mise à l’écart du projet républicain.

J’ai moi-même connu cette sensation. Quand il faut parcourir trente kilomètres pour une démarche simple, quand le médecin le plus proche ne prend plus de nouveaux patients, ou quand l’école menace de fermer faute d’effectifs, « je me sens reléguée à l’arrière-plan ». Non pas parce que la vie ici serait moins précieuse, mais parce qu’elle semble compter moins dans les décisions publiques. Ce déséquilibre alimente une colère légitime, mais aussi une désillusion profonde. C’est pourquoi je crois en un réarmement territorial différencié. Non pas pour créer des privilèges, mais pour compenser une inégalité structurelle.

Cette approche a ses forces : elle permet une réponse au plus près du terrain, elle respecte l’identité culturelle corse, et elle redonne du sens à la notion d’État. J’ai vu émerger des solutions inspirantes, comme ces maisons de services mutualisées, ou ces écoles rurales repensées en lieux de vie intergénérationnels. Mais cela exige un engagement sincère. La complexité institutionnelle de la Corse ne doit pas être un prétexte à l’inaction. Et cette stratégie ne peut réussir sans l’implication des habitant·e·s, sans leur parole prise en compte.

Ce choix n’est pas abstrait. Il s’ancre dans mes convictions : « chaque territoire a droit à la reconnaissance, chaque citoyen·ne à la dignité ». En tant que femme, insulaire et engagée, je crois que la proximité, la solidarité et la justice sont des piliers trop souvent relégués au second plan. Pourtant, ce sont eux qui tiennent ensemble nos vies, nos villages, notre démocratie.

Il est temps de penser ensemble une autre manière de faire présence publique. Une manière qui ne se résume pas à un logo sur une porte, mais qui traverse les usages, les visages, les liens. Nous pouvons soutenir les initiatives locales, interpeller les élu·e·s, documenter les absences et valoriser les présences retrouvées. Car « l’État ne peut être crédible s’il est invisible ». Ce sujet m’émeut, car il me concerne, il concerne mes proches, il façonne notre avenir commun. C’est pour cela que j’écris, que je m’engage, que je crois encore aux possibles.

Je vous invite à partager vos témoignages, vos luttes, vos idées. Ce dialogue est plus que nécessaire : il est vital.


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