Réflexion Personnelle Sur L’alliance Du Vécu Et De La Pensée Écologique
Il y a quelque chose en moi qui s’est déplacé lentement, mais profondément. Ce n’est pas une prise de conscience brutale, mais plutôt un glissement, comme lorsqu’on sent que ce qu’on croyait stable se fissure en silence. C’est arrivé en observant un arbre, un matin d’hiver, sa silhouette nue contre un ciel laiteux. « J’ai ressenti une étrange fraternité avec lui », une forme de lien ancien, oublié, mais tenace. Ce moment, à la fois intime et presque dérisoire, a éveillé une question essentielle : « Et si nous avions désappris à voir le monde comme un partenaire, plutôt qu’un décor ou une ressource ? »
Ce trouble, je l’ai retrouvé amplifié en explorant deux grands courants de pensée qui tentent, chacun à leur manière, de repenser notre relation à la nature. Les « nouveaux matérialismes » invitent à reconnaître la puissance d’agir de la matière elle-même, à envisager les pierres, les rivières, les bactéries comme des partenaires d’existence. En face, les « éco-marxismes » nous rappellent que la crise écologique est aussi, et peut-être surtout, une crise des systèmes sociaux : le capitalisme productiviste dévore les vivants sans distinction. Ces deux approches ne s’opposent pas, elles se parlent. « L’une nous fait sentir que tout est relation, l’autre nous oblige à voir ce qui organise ces relations de manière inégale ».
Ce dialogue entre l’intime et le structurel fait profondément écho à mon cheminement. Il me ramène à cette tension que je ressens souvent : entre l’élan de comprendre le monde dans sa complexité et le désir d’y inscrire mon action de manière tangible. J’ai longtemps cru que la pensée devait rester au-dessus des choses, détachée. Aujourd’hui, je ressens le besoin inverse : « Penser, oui, mais penser en marchant, en plantant, en écoutant ».
C’est ainsi que j’ai trouvé une voie dans ce que j’appelle une écologie relationnelle et incarnée. Elle s’inspire de penseurs et penseuses comme Donna Haraway, Isabelle Stengers ou Baptiste Morizot, mais aussi de personnes croisées sur des terrains fertiles : celles et ceux qui, dans un potager partagé ou une coopérative d’habitat, tissent au quotidien des formes de vie alternatives. Ce n’est pas une théorie de plus, c’est une manière d’habiter le monde autrement. Une manière de relier la critique sociale, les réflexions philosophiques et les gestes ordinaires de soin. « Ce que je veux, c’est une pensée qui respire avec les mains dans la terre ».
Parmi les concepts qui ont transformé ma perception, celui d’agentivité de la matière me bouleverse. Proposé notamment par Jane Bennett « Vibrant Matter », il invite à reconnaître la vitalité propre de ce qui nous entoure. Cela m’a permis de revisiter certains épisodes de ma vie où je croyais être seule actrice, alors que j’étais co-portée par des lieux, des objets, des atmosphères. Un exemple me revient : un chantier participatif dans les Cévennes, où des murs en pierres sèches semblaient nous guider, plus que nous ne les construisions. « La matière nous regarde, elle nous résiste, elle nous enseigne ».
Plus concrètement, mon expérience au sein d’un jardin nourricier collectif a nourri cette conviction. Ce lieu n’était pas simplement un espace de culture, mais un terrain d’écoute réciproque. Nous y avons expérimenté une organisation horizontale, des prises de décision lentes mais justes, des savoirs partagés entre retraité·e·s, enfants, militant·e·s, migrant·e·s. J’y ai appris que l’écologie incarnée se tisse dans la vulnérabilité, dans l’attention, dans le temps long. Elle n’est ni spectaculaire ni idéalisée, mais elle transforme, en profondeur.
Je ressors de cette traversée avec une certitude : il nous faut relier. Relier ce que nous savons, ce que nous ressentons et ce que nous faisons. Ne plus choisir entre le local et le global, entre le sensible et le structurel, entre la matière et la parole. « Une autre écologie est possible, si elle est relationnelle, située, modeste et audacieuse à la fois ». Cette voie du lien m’offre un chemin d’espérance : non pas en promettant un salut, mais en ouvrant des possibles.
Je nous invite, collectivement, à poursuivre cette exploration. À raconter, à écouter, à co-construire. Ce blog est aussi un espace pour cela. Et toi, où ressens-tu les liens ? Où les nourris-tu ? « L’écologie commence là où l’on accepte d’être touché·e par ce qui n’est pas soi ».
Partageons nos récits. Réparons nos imaginaires. Et continuons à tisser des mondes habitables.







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