Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

Le « Princess Treatment » : Romantisme Régressif Ou Norme À Déconstruire ?

Quand La Glorification De La Dépendance Féminine Questionne L’égalité Dans Les Relations Amoureuses

Depuis quelques semaines, une tendance affole les compteurs de TikTok : le « princess treatment », soit l’idée que l’un·e des partenaires (souvent un homme cis) doit orchestrer chaque aspect d’une sortie, laissant l’autre (souvent une femme) dans une posture d’abandon doux et glorifié. On ne commande pas, on ne parle pas au personnel, on ne règle pas l’addition : on se laisse porter, choyer, « comme une princesse ». Cette idée a explosé avec une vidéo de Courtney Palmer, alias Joëlle, visionnée plus de 4,5 millions de fois en quelques jours. En surface, cela pourrait ressembler à une forme de romantisme naïf. Mais en creusant, c’est une certaine vision des relations hétérosexuelles qui se rejoue, au croisement du spectacle, de la nostalgie genrée et d’une inquiétante stratégie d’effacement.

Le « princess treatment » ne surgit pas de nulle part. Il prend racine dans un climat culturel qui valorise de plus en plus des rôles féminins traditionnels. Mouvements tels que celui des « tradwives » ou des « soft girls » encensent une féminité douce, effacée, dépendante – parfois déguisée en empowerment. Ce retour à une forme de grâce codifiée s’oppose frontalement aux luttes féministes pour l’égalité et la reconnaissance du travail émotionnel, de la charge mentale, ou tout simplement du droit de décider pour soi.

Ce que ces vidéos ne montrent pas, c’est le contexte dans lequel elles s’inscrivent : l’inégalité structurelle des rôles de genre, les attentes sociales pesant sur les femmes, les dynamiques de pouvoir souvent invisibles. Lorsque l’on encense une attitude où l’on n’a rien à faire d’autre qu’être jolie et silencieuse, que valorise-t-on vraiment ? Le confort romantique ou la dépendance stylisée ? La liberté ou une mise en scène du contrôle ?

Certain·e·s défendent ce modèle en affirmant qu’il s’agit d’un choix, d’une manière de se sentir valorisé·e et aimé·e. On retrouve cette lecture dans de nombreux commentaires TikTok où des femmes affirment se sentir « écoutées et respectées » grâce à cette posture. Mais un choix individuel n’est pas nécessairement un choix libérateur. Comme le rappelle Mathias Toresen, expert en étiquette interviewé par Aftenposten ([Source]), il est urgent de repenser l’élégance mutuelle dans les relations, au-delà des attentes genrées. D’autres critiques soulignent le danger d’un romantisme instrumentalisé qui camoufle des formes subtiles de contrôle. Le New York Post évoque même l’« effet secte ou prise d’otage » ([Source]).

Le risque est réel : encourager cette vision, c’est contribuer à figer une fois de plus les femmes dans une posture d’ornement, au détriment de leur autonomie. Et c’est aussi imposer, en creux, une norme relationnelle à des jeunes filles en quête d’amour, qui penseront devoir s’effacer pour être choisies. Il faut alors poser une question simple mais essentielle : « et si je ne veux pas être une princesse, mais une personne ? »

Pour autant, condamner le phénomène sans nuances serait contre-productif. Le romantisme n’est pas l’ennemi. Il peut être réinventé, libéré de ses oripeaux sexistes, pour devenir un espace d’égalité, de soin réciproque et d’écoute sincère. Il ne s’agit pas de refuser les gestes attentionnés, mais de veiller à ce qu’ils ne deviennent pas des prescriptions. La pédagogie sur le consentement structurel, la pluralité des représentations relationnelles et la mise en lumière des motivations authentiques des créateurs et créatrices sont essentielles pour sortir d’un débat polarisé.

La réponse ne viendra ni du rejet violent ni de l’adhésion aveugle. Elle viendra d’un travail collectif de déconstruction, d’observation critique et de réinvention. Et si certaines se plaisent dans ce rôle, elles ont bien sûr le droit de s’y épanouir. Mais à condition que ce ne soit pas la seule voie jugée désirable. Ce n’est pas l’idée d’être choyée qui est problématique. C’est l’idée que cela ne puisse se faire que dans la passivité, la dépendance et la binarité.


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