Quand L’éducation Genrée Et Le Silence Émotionnel Perpétuent Un Déséquilibre Profondément Ancré Dans Nos Relations
Il m’a fallu du temps avant de pouvoir mettre un mot sur cette dynamique silencieuse, subtile et pourtant omniprésente. Ce comportement, qui consiste à feindre l’incapacité à accomplir certaines tâches pour s’en décharger, est désormais reconnu sous le nom d’« incompétence stratégique ». Derrière cette appellation presque clinique, se cache une réalité sociale douloureuse : celle d’un déséquilibre profondément enraciné entre les personnes au sein des foyers, des couples et même des équipes professionnelles. Il ne s’agit pas simplement d’un manque de volonté ou d’organisation, mais d’un mode de fonctionnement parfois inconscient, souvent intériorisé, et renforcé dès l’enfance.
C’est précisément ce que je souhaite explorer ici, en m’appuyant sur une approche double : éduquer à l’équité dès le plus jeune âge et développer une communication authentique au sein des relations. Car il ne s’agit pas seulement de dénoncer des mécanismes injustes, mais d’ouvrir des voies concrètes vers une transformation partagée, en phase avec les valeurs de respect, de justice sociale et d’autonomie émotionnelle que je défends.
Dans de nombreux exemples issus de la vie quotidienne, cette stratégie prend la forme de maladresses répétées, de tâches mal exécutées, ou d’un oubli constant qui finit par forcer l’autre à s’en charger. « Je ne sais pas comment fonctionne la machine à laver », « Je suis trop nul·le pour faire les courses, tu iras plus vite que moi ». Ces phrases, souvent énoncées sur le ton de l’humour, cachent en réalité une délégation tacite des responsabilités. Et ce sont encore, trop souvent, les femmes qui s’en retrouvent les principales victimes.
Une étude de l’INSEE de 2022 confirme cette tendance : 68 % des femmes déclarent effectuer chaque jour des tâches domestiques, contre 43 % des hommes ([Source]). Ce déséquilibre, loin d’être anecdotique, a des conséquences réelles sur la charge mentale, la qualité de vie, et la confiance au sein des couples.
En observant ces dynamiques dans différents contextes, ce qui m’a frappée, c’est à quel point elles sont banalisées. L’humour en est souvent le véhicule préféré. « Il ne sait pas plier le linge sans faire des boules », dit-on comme pour excuser l’évidente inégalité. Pourtant, normaliser ces comportements revient à les renforcer. Car tant qu’ils ne sont pas nommés, ils ne sont pas remis en question.
C’est pourquoi je crois profondément que l’éducation joue un rôle fondamental dans cette transformation. Dès l’enfance, nous pouvons proposer des récits où le soin est partagé, valoriser les compétences relationnelles des garçons autant que celles des filles, et surtout, donner des outils pour penser l’égalité dans les actes. Cela passe par des livres jeunesse comme « Tous pareils, ou presque » de Manon Fargetton, ou des jeux coopératifs qui valorisent la responsabilité collective.
Mais l’éducation seule ne suffit pas. Il est tout aussi essentiel de favoriser une communication sincère et respectueuse dans nos vies d’adultes. Mettre des mots sur la charge mentale, ouvrir des espaces de dialogue sans jugement, se doter d’outils simples comme un carnet de répartition des tâches ou des bilans hebdomadaires en couple… Ces pratiques favorisent non seulement une meilleure équité, mais renforcent aussi la qualité des liens.
En explorant ces dimensions, je reviens aux valeurs qui fondent ma vision : le respect, le partage, la co‑responsabilité. Il ne s’agit pas d’exiger la perfection ni d’imposer une grille rigide de répartition. Il s’agit de construire un équilibre à la fois juste et vivant, où chaque personne se sent reconnue, écoutée, et actrice de l’organisation collective.
« Il n’est jamais trop tard pour devenir responsable de ce que l’on a laissé faire ». Cette phrase de Dominique Picard me semble parfaitement illustrer l’esprit de cette réflexion. Car reconnaître ces dynamiques n’est pas une fin en soi. C’est un point de départ. Cela demande du courage, oui, mais aussi de la tendresse, de l’humilité, et une volonté commune de faire autrement.
Je crois qu’il est temps d’observer nos habitudes avec un regard neuf. De questionner, sans juger, ce que nous avons appris, transmis, ou accepté sans le vouloir. De faire émerger de nouveaux modèles de collaboration, basés sur la confiance, l’écoute et la responsabilisation partagée. Si chacun·e prend le temps d’ouvrir ce dialogue en soi et avec les autres, alors quelque chose peut vraiment changer.
Je vous invite à partager vos propres expériences, à nourrir cette réflexion de vos récits, et à vous emparer de ce sujet avec curiosité et engagement. Car c’est ensemble que nous pourrons déconstruire l’invisible et reconstruire du juste.







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