Repenser Le Rôle De L’impôt Face Aux Inégalités Globales
Dans un monde où les écarts de richesse atteignent des sommets vertigineux, il devient urgent de reposer la question du rôle de la fiscalité dans la construction d’un avenir commun. À la croisée de considérations économiques, morales et politiques, la proposition portée par Gabriel Zucman et récemment soutenue par « sept prix Nobel d’économie » dans une tribune publiée par Le Monde le 7 juillet 2025 ([Source]) incarne une bascule possible : celle d’un sursaut collectif en faveur d’un impôt mondial sur les ultra-riches.
La proposition, simple dans son principe mais audacieuse dans sa portée, consiste à instaurer un impôt plancher de « 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros ». Ce taux, loin d’être confiscatoire, viendrait corriger une anomalie bien documentée par les travaux de l’Observatoire européen de la fiscalité dirigé par Zucman lui-même : « les milliardaires paient aujourd’hui en moyenne moins de 0,3 % de leur fortune en impôts », un taux dérisoire comparé à celui acquitté par les classes moyennes.
La France, qui s’apprête à jouer un rôle de pionnière, a vu sa proposition de loi adoptée à l’Assemblée nationale, avant d’être rejetée par le Sénat. Ce clivage institutionnel illustre la tension entre une légitimité populaire et scientifique croissante, et une résistance conservatrice souvent motivée par la peur d’un affaiblissement de l’attractivité économique. Pourtant, « l’idée d’une fiscalité coordonnée pour les grandes fortunes avance au G20 », comme le rapporte Le Monde dans un article du 26 juin 2024 ([Source]). Le Brésil, qui préside cette année-là le sommet, a ouvert la voie à une réflexion diplomatique d’envergure.
Ce mouvement mondial, s’il venait à se structurer, constituerait un tournant. Car ce dont il est ici question, ce n’est pas uniquement de fiscalité, mais de « justice systémique », de réparation symbolique et matérielle dans un monde où la richesse se concentre sans garde-fous. En cela, la proposition rejoint les principes défendus par nombre de collectifs de la société civile, de chercheurs et chercheuses et d’organisations internationales engagées pour une redistribution équitable.
Certain·e·s critiquent cette démarche en invoquant la difficulté de faire respecter une telle règle à l’échelle globale, ou les effets supposément négatifs sur l’investissement privé. Ces objections ne sont pas à balayer d’un revers de main. Il faut y répondre avec rigueur. Les études menées par Zucman, Blanchard et Pisani-Ferry dans Le Monde (11 juin 2025) démontrent que « les effets d’exil sont largement compensés par une harmonisation entre pays », dès lors qu’une coalition significative adopte une ligne commune ([Source]).
Il est donc stratégique, pour une nation comme la France, d’ouvrir la voie sans attendre. Prendre le risque politique de légiférer unilatéralement, c’est aussi ouvrir un chemin que d’autres suivront. Ce volontarisme s’inscrit dans une vision à long terme, où la justice fiscale devient non pas un luxe idéologique, mais un outil essentiel de stabilité sociale et de financement des communs. Cette orientation exige un courage certain, mais elle offre en retour une opportunité rare de réinventer le contrat fiscal dans un monde interconnecté.
Car dans ce débat, ce qui est en jeu dépasse les chiffres. Il s’agit de notre rapport collectif à la solidarité, à la responsabilité, à la dignité de chacun·e. Revenir à une fiscalité éthique, cohérente et universelle, c’est œuvrer à une refondation politique qui réconcilie les citoyen·ne·s avec leurs institutions. Une telle refonte ne saurait attendre que les crises dictent l’agenda. Elle doit être choisie, pensée, construite dès maintenant.







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