Quand Tiktok Devient Confessionnal, Tribune Féministe Et Miroir De Nos Contradictions
Je regarde défiler les vidéos TikTok avec la même perplexité que devant une pub pour parfum d’homme filmée au ralenti dans une ruelle humide : on y devine des drames, des promesses de grandeur, et beaucoup de mise en scène. Sauf que cette fois, les héroïnes ne vendent pas des corps musqués mais dénoncent, au son de « Man of the Year », les comportements plus que douteux de leurs ex. Et quand je dis douteux, je reste polie.
Dans cette tendance née fin mai 2025, des milliers de femmes (et quelques hommes aussi, mais chut, c’est rare) partagent joyeusement les pires moments de leur relation passée. Une photo d’elles, lumineuses, puis un glissement brutal vers des captures de SMS du type : « T’as vraiment pas honte de me faire ça juste parce que t’as tes règles ? », ou encore « T’étais mieux quand tu parlais pas ». Et le tout, saupoudré de l’ironie mordante de Lorde chantant « Man of the Year ».
Alors bien sûr, les observateurs et observatrices de salon crient au scandale. Où est la vie privée ? Où sont les preuves ? Où est le respect des hommes ? Demandons plutôt : où était tout cela quand ces mêmes hommes coupaient l’accès aux comptes bancaires, enregistraient des vocaux de détresse pour les transformer en remix électro ou forçaient leurs partenaires à accoucher seules, loin de leur famille ?
La tendance, saluée par des thérapeutes comme Jenny Maenpaa (NYC Psychotherapy Collective) ou Suzannah Weiss (auteure, thérapeute et experte en genre), est une forme de justice poétique. Une catharsis numérique, une solidarité spontanée, et un doigt d’honneur (virtuel, bien sûr) à toutes les formes de violences silencieuses.
Ce que les statistiques ne montrent pas toujours, TikTok l’expose sans filtre : selon l’OMS, « 35 % des femmes dans le monde subissent des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire » ([Source]). Mais qui parle des violences non physiques, du mépris, de la manipulation, de la dissimulation ? Aujourd’hui, ce sont les vidéos, les montages, les likes et les commentaires qui tracent une cartographie affective que même le plus rigide des sociologues ne saurait nier.
Certes, il y a des limites. Diffamation potentielle, effets de meute, blessures qui se rejouent plus qu’elles ne se soignent. Et puis ce petit goût d’exposition qui dérange même les plus convaincu·e·s. Mais faut-il rappeler que la parole des victimes n’a jamais été propre ni confortable pour qui ne veut pas l’entendre ?
On dira que ce n’est pas la justice. C’est vrai. Ce n’est pas un tribunal, c’est un miroir. Et ce miroir reflète ce que beaucoup n’osent pas nommer. En assumant l’ironie, la colère, l’humour noir, cette tendance dit : « Vous nous avez fait douter de nous-mêmes, on vous rend viral ».
Il serait peut-être temps que les plateformes comme TikTok collaborent avec des institutions féministes et des professionnel·le·s de santé pour transformer ces trends en campagnes de prévention. Quitte à y perdre un peu de clash, on y gagnerait en clairvoyance. Parce que non, ce n’est pas une mode. C’est un signal. Et il serait malvenu de ne pas l’écouter sous prétexte qu’il chante.
Pour aller plus loin, le HuffPost France en propose une excellente synthèse ici : ([Source]), ainsi que l’analyse sociotechnique de Fast Company : ([Source]).







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