Préserver Notre Droit À La Santé Et Repenser Les Liens Entre Territoire, Dignité Et Solidarité
Je crois profondément que l’accès aux soins ne devrait jamais dépendre d’un code postal ni d’un relief montagneux. En tant que femme attachée à la justice sociale et à l’égalité des territoires, je suis touchée en plein cœur lorsque je lis que le Centre Hospitalier de Bastia, en Haute-Corse, se trouve aujourd’hui au bord de la rupture. « La continuité et la sécurité des soins sont en péril », alerte le syndicat des hospitalier·e·s dans un cri du cœur publié ce 16 juillet. C’est plus qu’un hôpital qui vacille : c’est un pacte social fondamental qui s’effrite.
Le contexte n’est pas nouveau. Ce territoire insulaire cumule depuis des années les désavantages structurels : désertification médicale, difficultés de recrutement, précarité des patient·e·s, et explosion estivale de la fréquentation. Selon la Cour des comptes (2024), le déficit du CHB dépasse aujourd’hui les 39 millions d’euros, fruit amer d’un sous-financement chronique aggravé par les spécificités locales. « Soigner, c’est d’abord écouter une humanité en détresse », écrit la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury. Ce que nous dit la situation en Corse, c’est que cette écoute devient de plus en plus difficile dans un système à bout de souffle.
Je me souviens d’une amie contrainte de prendre l’avion pour Marseille pour une opération pourtant courante. Trois mois d’attente sur l’île, deux heures de vol sur le continent, et un sentiment diffus d’abandon. Combien d’entre nous, en Corse ou ailleurs, avons déjà ressenti cette injustice sourde ? Cette peur de tomber malade là où les renforts n’arrivent jamais ?
Et pourtant, face à cette crise, des solutions émergent. L’expérimentation d’un Centre Hospitalier Régional Universitaire (CHRU) de Corse pourrait changer la donne. En structurant la formation locale, en renforçant les spécialités médicales et en ancrant la recherche dans les réalités du territoire, ce projet témoigne d’une volonté collective de reprendre en main notre santé. La régulation temporaire des urgences par le SAMU 15, mise en œuvre dès juillet 2025, illustre aussi un effort pour prioriser les cas les plus graves, malgré les tensions.
Mais derrière ces réponses techniques, il y a une question plus vaste : que signifie encore « soigner » dans une société où l’efficacité supplante trop souvent l’humanité ? Quand les soignant·e·s sont épuisé·e·s, quand les patient·e·s attendent des heures ou renoncent à se faire soigner, ce ne sont pas seulement des chiffres qui vacillent, ce sont nos valeurs.
Je crois que la Haute-Corse, avec ses contraintes et ses ressources, peut devenir un laboratoire du soin réinventé. Là où les distances sont longues, les liens peuvent être forts. Là où l’offre médicale est rare, la solidarité peut devenir précieuse. L’important est de ne pas céder au fatalisme, mais de transformer les obstacles en leviers d’innovation.
Cette crise ne doit pas nous résigner, elle doit nous éveiller. Elle doit nous rappeler que la santé est une affaire collective, une promesse de société. « Il n’y a pas de démocratie sans égalité d’accès aux soins », affirmait récemment un médecin de campagne interviewé par Le Monde. Je partage cette conviction. Ce qui se joue à Bastia, c’est peut-être l’avenir de nos périphéries. Et à travers elles, celui de notre humanité partagée.






