L’illusion D’une Solidarité Générationnelle Brisée Par La Rigueur Budgétaire
Je regarde les annonces budgétaires de ces derniers jours avec un mélange d’inquiétude sourde et de résignation lucide. Une « année blanche » pour les pensions de retraite. La fin de l’abattement fiscal de 10 % pour l’ensemble des retraité·e·s, remplacé par un forfait uniforme. Derrière ces mesures techniques, c’est une rupture beaucoup plus profonde qui s’annonce. Celle d’un contrat social implicite, patiemment tissé au fil des décennies. Un contrat fondé sur la reconnaissance du rôle des ancien·ne·s, sur l’idée que chacun·e, à son tour, contribue et reçoit. Aujourd’hui, j’ai la sensation qu’on nous dit : « Vous avez reçu. C’est fini ».
Je ne suis pas économiste, mais je suis attentive. Je vois bien les chiffres, les dettes accumulées, les injonctions à la rigueur. Mais je ressens surtout ce que cela signifie humainement. Le discours officiel prétend que ces décisions sont temporaires, ciblées, équilibrées. Pourtant, la symbolique est forte, presque brutale. Pour la première fois, les retraité·e·s sont explicitement mis·e·s à contribution, comme s’iels étaient désormais une variable d’ajustement budgétaire, et non plus les dépositaires d’une mémoire collective, d’un effort continu, d’un avenir transmis.
Je repense à ma grand-mère, qui a vécu l’après-guerre, les années de reconstruction, les silences, les sacrifices. Elle n’aurait pas compris cette décision, ou peut-être qu’elle l’aurait acceptée avec cette dignité discrète de celles et ceux qui ont toujours porté le poids des crises. Mais ce n’est pas à elle que je pense seulement. C’est à cette génération de femmes seules, de retraité·e·s précaires, d’ancien·ne·s travailleurs et travailleuses dont les carrières hachées n’ont jamais permis de construire une retraite digne. Celles et ceux qu’un gel de pension fragilise déjà, avant même que l’inflation ne les rattrape.
Il ne s’agit pas ici de défendre une niche fiscale par principe. Je peux entendre qu’un système juste doit aussi interroger ses propres privilèges. Mais je m’interroge sur ce que cela dit de notre hiérarchie des priorités. Où va l’effort ? Qui paie vraiment ? Et pourquoi ce sont toujours les plus silencieux que l’on touche en premier ?
Dans cette succession d’annonces, j’ai choisi de ne pas céder à la colère, mais de garder une posture de vigilance. De rester fidèle à mes valeurs : justice, équité, mémoire. Je pense qu’on ne construit pas une société stable sans tenir compte de la réciprocité entre les âges. Et je crains que cette décision n’abîme encore un peu plus la confiance déjà fragilisée entre citoyen·ne·s et responsables politiques.
Je repense à cette citation de Simone Weil : « L’injustice commence quand on ne regarde plus les différences ». Elle me semble juste ici. Car dans cette mesure uniforme, on oublie les réalités multiples, les vulnérabilités invisibles, les trajectoires éclatées. On applique une règle comptable à des vies profondément inégales. Et on laisse entendre que la vieillesse est devenue un luxe, une charge, un coût à réduire.
Il est encore temps, peut-être, de reconsidérer le sens de ces choix. De penser à ce que nous voulons vraiment transmettre aux générations futures : un équilibre financier ou une société solidaire ? Je n’ai pas de réponse toute faite. Mais je crois qu’il est essentiel d’ouvrir ce débat. Et de ne pas laisser les chiffres effacer les visages.
Références utilisées :
– BFM TV, « François Bayrou propose la suppression de l’abattement fiscal… »
– Public Sénat, « Gel des pensions… LR font-ils leur mue »
– L’Express, « Budget 2026 : Bayrou frappe les retraités… »
– TF1 Info, « Budget 2026 : les retraités… doublement touchés »
– UNSA Retraités, « Budget 2026 : les retraités en première ligne »






