Quand L’instinct Ne Suffit Plus À Apaiser L’inquiétude
Il fut un temps où « faire des enfants » relevait d’un prolongement naturel de la vie, presque automatique, chargé d’espoir, de lignée, de promesses. Ce temps semble si loin, tant l’actualité le rattrape avec violence. Aujourd’hui, derrière le silence poli de certaines discussions de famille ou les sourires en coin lors des annonces de grossesse, se dissimule une angoisse sourde, partagée, croissante : celle de mettre au monde dans un monde en train de se défaire.
« Je ne veux pas d’enfants », ce n’est pas un rejet de la vie, ni une négation de l’amour. C’est un constat brut, lucide, porté par des faits, des données, des réalités tangibles. Selon les Nations Unies, la fertilité mondiale a été divisée par deux depuis 1950, passant de 5 à 2,3 enfants par femme. En France, la tendance suit le même sillage, avec un indice de fécondité tombé à 1,68 en 2023 selon l’Insee. Si les causes sont multiples, le facteur déterminant, bien que rarement assumé publiquement, semble être une « perte de confiance dans l’avenir ».
On ne choisit pas l’infécondité sociale par frivolité ou par caprice. Ce refus est souvent traversé par une forme de loyauté silencieuse envers les générations à venir : « Je ne veux pas transmettre la peur, ni léguer un monde fracassé par nos renoncements ». Loin d’être un repli individualiste, c’est un acte profondément politique, un geste de désobéissance lucide face à un système qui exige sans offrir de garanties.
Le monde se crispe : guerres persistantes, dérèglement climatique irréversible, précarité économique chronique, montée des extrêmes, effondrement des services publics. L’UNFPA le soulignait récemment : « La peur du changement climatique, la charge mentale parentale, la pression sociale et économique pèsent de plus en plus sur les décisions reproductives ». Dans ce contexte, faire un enfant devient moins un projet de vie qu’une prise de risque moral.
Certain·e·s répondront que chaque époque a ses crises. C’est vrai. Mais jamais autant d’incertitudes n’ont convergé avec autant de force. Les récits d’effondrement ne sont plus dystopiques, ils sont statistiques. Selon le FMI, la contraction démographique pourrait précipiter l’Europe dans une crise structurelle d’ici 2050, sans redressement clair possible.
Face à cela, les politiques natalistes se multiplient : primes, congés, campagnes de communication. Mais « on ne fait pas des enfants à coups d’allocations quand on doute du futur ». La natalité ne se décrète pas. Elle se ressent. Elle repose sur une certitude simple : que demain sera possible.
Il faudrait réécrire nos récits collectifs, redonner du souffle aux projets de société, restaurer la confiance, réinventer le soin, la solidarité, l’avenir. Mais cela suppose des ruptures systémiques que l’on n’entrevoit pas. Tant que ce changement ne viendra pas, le choix de ne pas enfanter restera pour beaucoup non pas un refus de vie, mais une forme de fidélité à l’humanité elle-même.
Parce qu’« aimer un enfant potentiel, c’est aussi choisir de ne pas l’imposer à un monde que l’on sait incapable de l’accueillir dignement ».
Références
– UNFPA, State of World Population Report, 2024






