Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Quand Le Littoral Parle À L’Âme

Quand Le Littoral Parle À L’Âme

Ce Que La Disparition Du Conservatoire Du Littoral Ferait Taire Pour Toujours

Il y a, dans certains paysages, des silences qui nous parlent plus que mille discours. Une crique oubliée où les vagues murmurent contre la roche, un sentier bordé d’immortelles dont le parfum âcre s’élève comme une prière, un matin d’été où la lumière s’étire sur le maquis encore froissé de rosée. Ces lieux, je les porte en moi comme des refuges. Et l’idée que demain, ils puissent se refermer, se vendre, se perdre, me bouleverse.

C’est dans ce contexte que j’ai appris la menace qui pèse sur le Conservatoire du littoral. Cet établissement qui, depuis presque cinquante ans, veille discrètement sur nos rivages comme on veille un feu fragile. Il ne fait pas de bruit, il ne cherche pas les projecteurs. Il protège, il écoute, il relie. Et aujourd’hui, on voudrait le faire taire, en l’absorbant dans une logique comptable, en diluant son identité dans celle d’une autre structure, certes compétente, mais étrangère à cette mémoire lente du territoire.

Je ne peux m’empêcher d’y voir une fracture. Car le littoral, ce n’est pas qu’un trait sur une carte ou un atout économique. C’est un souffle, un rythme, une présence. C’est le cri des goélands, l’odeur du pin chauffé par le soleil, le bruissement des herbes salées au passage du vent. C’est aussi un équilibre précaire, que le Conservatoire s’efforce de maintenir avec délicatesse, comme on tient une barque dans le courant. « Protéger, ce n’est pas figer, c’est accompagner », me disait un jour un garde du littoral, les yeux fixés sur l’horizon.

En Corse, cette disparition résonnerait comme une trahison. L’île a su préserver des pans entiers de son rivage grâce à l’action de ce Conservatoire. Ici, les terrains ne sont pas que des biens : ce sont des histoires, des liens, des transmissions. Remettre leur sort à une institution trop éloignée, trop centralisée, c’est risquer de les faire basculer dans l’oubli ou l’indifférence. C’est effacer la parole des habitant·e·s, la connaissance intuitive des lieux, cette science sensible que seul·e·s les vivant·e·s du territoire peuvent incarner.

Je repense souvent à une fin de journée à Saleccia, quand l’ombre des eucalyptus s’allongeait sur le sable clair et que l’air était saturé de ce parfum indéfinissable, mélange de myrte, de sel et de temps. C’est là que j’ai compris ce que veut dire « lien au territoire ». Ce n’est pas un concept. C’est une sensation, une fidélité, un serment muet.

Alors je m’interroge : peut-on vraiment protéger ce qu’on ne ressent pas ? Peut-on veiller sur un rivage sans l’avoir aimé, sans l’avoir parcouru, sans avoir ressenti son silence ? J’ai la conviction que non. Et c’est pourquoi je crois profondément que le Conservatoire du littoral, avec ses équipes enracinées, ses dialogues tissés avec les communes, ses regards patients, doit rester ce qu’il est. Non par attachement nostalgique, mais parce que « le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par les êtres sensibles », écrivait Christian Bobin.

Ce texte n’est pas un appel à la révolte, mais à la conscience. Il n’est pas là pour diviser, mais pour éveiller. Car si nous laissons disparaître celles et ceux qui savent écouter la terre avant de l’aménager, nous perdrons bien plus qu’un établissement. Nous perdrons une manière d’habiter le monde. Et cette perte-là, aucune rationalisation budgétaire ne pourra jamais la justifier.


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