Derrière L’Illusion De Liberté, Les Inégalités Qui Persistent Dans L’Intime
On nous a vendu la révolution sexuelle comme un tournant. Une promesse de corps délivrés, de plaisirs pluriels, de désirs assumés. Pourtant, quand je regarde autour de moi, dans les récits partagés à voix basse, dans les confidences en demi-teinte, je sens qu’il y a eu maldonne. « La liberté pour toustes », disaient-iels. Mais qui a vraiment été libéré·e ? Et qui continue à jouer un rôle dans une pièce écrite sans elleux ?
Il y a une gêne que je ressens parfois, dans les discussions entre ami·e·s ou dans mes propres souvenirs. Ce moment où le consentement n’était pas clair, où le désir semblait s’imposer comme une évidence parce que c’était « normal d’avoir envie ». Où l’on disait oui sans savoir si l’on voulait. Parce que refuser aurait été compliqué. Parce qu’on avait peur de ne plus plaire. Parce qu’on nous avait appris que « dire non trop souvent, c’est être coincée ». Alors on disait oui. Avec le sourire. Avec le ventre noué.
Cette « libération », telle qu’elle s’est propagée, ressemble parfois à une reconduction maquillée du pouvoir masculin. On a troqué les corsets pour des slogans, les tabous pour des injonctions à jouir vite et bien. Mais toujours sous un regard. Le même, ou presque. Celui qui s’attend à ce qu’une femme soit disponible, douce mais ouverte, farouche mais pas trop, libre mais surtout sexy. Et pendant qu’on célébrait cette révolution, les sexualités queers, les corps racisés, les personnes handicapées restaient en marge de l’image dominante du désir acceptable. « La révolution sexuelle n’a pas aboli les privilèges, elle les a simplement redessinés », comme le rappelle la sociologue Sabine Prokhoris.
J’ai vu tant de femmes, d’ami·e·s, de compagnes de lutte, faire semblant d’être « émancipées », quand elles étaient simplement fatiguées de résister. Elles couchaient « comme des hommes » mais ne jouissaient pas comme elles voulaient. Elles prenaient la pilule, se disaient maîtresses de leur corps, mais se retrouvaient souvent seules à porter les conséquences des rapports. « C’était plus facile de faire croire qu’on voulait, que d’expliquer pourquoi on n’était pas sûre », me confiait récemment une amie.
Alors bien sûr, il y a eu des avancées. On parle enfin de consentement, de plaisir féminin, d’érotismes hors normes. Des créateurs et créatrices de contenus repensent le porno, les séries comme Sex Éducation ou Tout va bien osent montrer d’autres manières de vivre le désir. Des voix s’élèvent, racontent des réalités qui ne rentrent pas dans les standards. Mais tout cela reste fragile. Minoritaire. Souvent moqué ou exotisé. Et surtout, il manque une chose : une révolution du regard.
Parce que c’est là que tout commence. Dans cette façon de regarder un corps : pour ce qu’il est, et non ce qu’il donne. De l’écouter. De lui demander : « Qu’est-ce que tu veux vraiment, là, maintenant ? » Sans attendre une réponse sexy, sans projeter un scénario pré-écrit. Une révolution qui prendrait le temps de désapprendre, de tâtonner, de rire aussi – parce que l’érotisme peut être drôle, maladroit, délicieux dans son imperfection.
Moi, je veux une liberté qui ne force pas. Un désir qui se tisse à deux, trois, mille rythmes différents. Une révolution douce, inclusive, sensuelle. Une sexualité où le silence a aussi sa place, où le non est accueilli avec autant de respect que le oui. Comme le disait si bien Audre Lorde : « Nous avons été élevées à avoir peur du oui que porte notre corps ». Il est temps d’écouter ce oui, mais aussi les hésitations, les pauses, les respirations.
Et si la vraie révolution était là ?
Références :
– Prokhoris, Sabine. La Fabrique du sexe, Gallimard.
– Lorde, Audre. Sister Outsider, Crossing Press.
– The Journal of Sex Research, Vol. 57, 2020 – étude sur l’impact différencié de la révolution sexuelle sur les femmes et les minorités sexuelles.
– Rasson, Charlotte. Le corps et la norme, CNRS Éditions.







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