Une Réflexion Intime Sur La Nature, Le Deuil Et La Force De L’Observation
Il y a des silences que seul le vent dans les feuilles sait exprimer. Des absences que la lumière du matin dessine sur la terre encore humide. Depuis que Marco est parti, c’est dans mon jardin que je trouve les réponses que les mots ne savent plus formuler. Lui qui avait ce regard d’une justesse rare, toujours à l’affût du détail, d’un frémissement, d’une nuance de vert que je ne voyais pas… Lui, mon samouraï au grand cœur, m’a appris à observer la vie comme on lit un poème.
Je crois profondément que nous avons toustes, en nous, cette capacité à ressentir le vivant dans sa complexité, à affiner nos sens pour mieux habiter le monde. Les enfants le savent. Ils entendent les insectes, s’émerveillent devant un escargot, s’agenouillent pour mieux voir une mousse minuscule. Avec le temps, cette attention se dilue. Prises dans l’urgence, nous oublions de voir. « Le vrai voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux », écrivait Marcel Proust. C’est exactement ce que je ressens en jardinant depuis sa disparition.
Chaque geste dans la terre m’enseigne une patience qui ne juge pas. Arroser, désherber, pailler : autant de moments où l’on se décentre de soi. Et c’est précisément là, dans cette disponibilité, que quelque chose se révèle. Un champignon qui pousse sans qu’on l’ait planté. Une abeille qui revient chaque matin à la même fleur. Ce sont ces micro-phénomènes qui me rappellent Marco. Lui, qui savait reconnaître le moindre déséquilibre, sentir l’humidité trop présente ou le stress d’une plante. Il avait cette mémoire du lieu, bâtie sur l’attention répétée, humble et constante.
Observer la nature de cette manière, c’est aussi choisir une autre forme d’engagement. Ce n’est pas seulement cultiver pour récolter, mais veiller, écouter, s’ajuster. Le jardin devient politique au moment où l’on décide de respecter les rythmes du vivant, d’en prendre soin sans imposer. C’est un choix de solidarité avec les cycles naturels, avec la fragilité de ce qui pousse lentement.
J’ai souvent pensé que l’action et la contemplation s’excluaient. Que l’on devait choisir entre efficacité et rêverie. Mais le jardin m’a appris qu’il était possible d’agir tout en restant ouverte à l’émerveillement. Quand mes mains creusent, mon esprit s’apaise. Quand je taille, je pense. Quand j’arrose, j’écoute. Il n’y a pas d’opposition, seulement des mouvements complémentaires.
Aujourd’hui, mon jardin est aussi un espace de deuil. Un lieu où je peux continuer à parler à Marco, à ressentir sa présence non pas dans les mots, mais dans la façon dont les choses se font. Il m’a transmis une manière d’être au monde que je tente, jour après jour, d’incarner. En respectant les silences, en valorisant la lenteur, en cultivant l’attention.
Ce que je retire de cette expérience, c’est que le vivant nous parle à condition qu’on le regarde vraiment. Et qu’apprendre à voir, c’est une manière d’aimer. Une manière de rester relié·e·s, même dans l’absence.
Les valeurs qui me guident – soin, attention, écoute, respect – trouvent un écho profond dans cette relation au jardin. Elles m’aident à construire une mémoire écologique qui n’est pas seulement faite de connaissances, mais d’émotions, de gestes et de liens.
Alors je continue, à mon rythme. À désherber doucement. À noter les signes. À accueillir les surprises. Parce qu’au fond, « le plus court chemin de soi à soi passe par autrui » – et parfois, cet autrui s’appelle nature.








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