Incompatibilité sexuelle : quand le désir s’efface, comment préserver l’intimité du couple ?
Il m’est souvent arrivé de croiser, au détour d’une confidence ou d’un regard fuyant lors d’un repas entre ami·e·s, cette douleur silencieuse que beaucoup taisent : « je ne désire plus », ou pire encore, « je ne suis plus désiré·e ». Ce n’est pas un aveu que l’on formule à la légère, comme on parle de pluie ou de mistral. C’est une blessure pudique, un silence posé sur l’oreiller, entre deux êtres qui s’aiment encore, mais ne se touchent plus.
J’ai grandi dans une culture où le non-dit se cache derrière des sourires polis, et où l’amour se prouve souvent par le geste plutôt que par les mots. Pourtant, avec le temps, j’ai appris que les mots, justement, peuvent devenir les gardiens d’un lien en péril. « L’intimité n’est pas un lieu, mais une langue que l’on apprend à parler », écrivait Christiane Singer. Et lorsque cette langue se tait, le corps suit, et l’amour chancelle.
Dans notre société saturée d’injonctions à la performance, à l’ardeur, à l’hyper sexualité, il est difficile d’admettre que l’on ne partage pas les mêmes élans. Pourtant, le désir n’est ni mécanique ni uniforme. Il fluctue, il se fane parfois, pour renaître ailleurs, autrement. Il arrive que deux personnes s’aiment profondément mais vivent des sexualités dissemblables, comme deux saisons qui ne tombent jamais en même temps. L’un·e attend l’orage, l’autre rêve de brise légère.
Je me souviens de ce couple de voisins, qui malgré quarante années de vie commune, partageaient leurs nuits sans passion mais avec une tendresse palpable. On les voyait au marché, se chamailler gentiment devant les melons, s’échanger des regards malicieux. Ils avaient fait le deuil d’un certain feu, mais avaient bâti une intimité différente, pleine de complicité et de chaleur. « L’amour n’est pas le contraire du désir, c’est une forme évoluée du désir », disait-elle un jour, avec ce bon sens paysan qui en dit long sans en faire trop.
Mais pour d’autres, l’incompatibilité sexuelle peut devenir un gouffre. L’absence de désir ressenti ou reçu peut fragiliser l’estime de soi, faire naître des pensées dures, « je ne suis pas assez », « je suis trop », « je dérange ». Ces blessures invisibles s’installent quand la parole manque, quand la honte ou la peur d’abandon empêchent le dialogue. Et pourtant, tout commence par là : nommer ce que l’on ressent, même maladroitement.
Certain·e·s choisissent de consulter, d’ouvrir l’espace à une tierce personne. D’autres trouvent leur propre langue : celle de la tendresse, du rire, de la créativité sensuelle. Le couple n’est pas un contrat figé ; c’est un voyage en terres parfois inconnues. Et ce n’est pas une faiblesse que de ne pas désirer, ni une faute d’en vouloir davantage. C’est une différence, qu’il faut regarder avec douceur.
Si j’écris ces mots aujourd’hui, c’est pour rappeler que chaque relation est unique. Que l’amour peut survivre sans étreintes, mais pas sans vérité. Que le désir peut s’inventer, se négocier, s’apprivoiser, pourvu qu’on s’y attarde ensemble. Il n’y a pas de modèle idéal, seulement des parcours sincères.
À vous, qui peut-être ressentez ce décalage, je n’ai pas de réponse toute faite. Mais j’ai cette conviction simple : « le silence est un mur, la parole est une main tendue ». Et peut-être qu’en osant cette main, l’on redonne à l’amour un espace pour respirer, même sans feu, mais jamais sans chaleur.







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