Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

Le Budget De L’État : Ce Grand Écart Qui Déshabille L’intérêt Général

Pourquoi La Dépense Publique Ne Profite Plus Au Public Et Comment Repenser Notre Priorité Collective

La scène est connue. Un hôpital qui ferme, une école sans remplaçant·e, un guichet administratif désert, une route défoncée. Et pendant ce temps, des milliards de transferts distribués à la volée, des exonérations fiscales en cascade, et une dette publique qui grimpe comme un lierre sur les murs d’un ministère vide. Ce contraste me frappe, me hante. Car je crois en une République qui protège, soigne, éduque, relie. Et je refuse qu’on nous impose une comptabilité sans conscience comme unique boussole politique.

J’ai voulu comprendre comment nous en sommes arrivés là. Pourquoi notre État, qui fut un architecte de progrès, se transforme peu à peu en gestionnaire d’austérité. L’approche que j’ai choisie est simple : suivre la trace de l’argent. Observer, sans naïveté, ce que le budget dit de nos priorités. Et lire entre les lignes ce qu’il cache aussi : des renoncements, des idéologies, des deals silencieux.

En 1985, l’État consacrait 18 % du PIB à son propre fonctionnement. En 2024, il n’en consacre plus que 12 %. Cette chute n’est pas une bonne nouvelle. Elle signifie moins d’investissement dans les écoles, les hôpitaux, les infrastructures, les services de proximité. Tandis que les prestations sociales, elles, ont été déléguées à la Sécurité sociale – hors du périmètre du budget de l’État – créant l’illusion d’un désengagement volontaire au profit d’un « modèle social ». « On fait semblant de piloter la barque, mais on a sabordé le gouvernail », aurait pu dire un vieux préfet en bout de course.

Le comble, c’est que cette cure d’austérité n’a pas pour autant limité les dépenses. Au contraire, les transferts financiers – aides, allocations, subventions – explosent. Le souci n’est pas qu’on aide, c’est qu’on compense au lieu d’agir. Comme si chaque pan de service public affaibli était remplacé par une rustine sociale. On n’entretient plus les routes, mais on distribue des chèques carburant. On laisse les hôpitaux saturer, mais on multiplie les exonérations pour les mutuelles privées. Une logique du sparadrap plutôt que du soin.

Et que dire des aides aux entreprises ? Je n’ai rien contre le soutien à l’innovation, à la transition écologique ou à l’emploi local. Mais ce n’est pas ce qui se passe. Ce qu’on observe, c’est un afflux massif d’argent public vers des groupes déjà solides, souvent sans contrepartie réelle, ni évaluation sérieuse de l’impact. Le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE), par exemple, a coûté des milliards pour des effets flous. Pendant ce temps, des classes ferment et les missions de service public sont confiées à des bénévoles.

Ce déséquilibre n’est pas neutre. Il est le fruit d’une pensée : celle du néolibéralisme. Une doctrine qui prône la réduction du rôle de l’État, la sacralisation du marché, et la priorité aux gagnant·e·s du système. « Moins d’État, plus de liberté », dit-on. Sauf que la liberté d’un·e actionnaire vaut aujourd’hui plus que le droit à l’éducation ou à la santé pour une famille modeste. Quand on supprime l’ISF et qu’on instaure une flat tax, on ne libère pas la croissance. On creuse le fossé. Et on habille ça de mots vides : modernisation, simplification, efficience. Des mots qui masquent le sabrage.

Et pendant que la France délègue ses solidarités à la Sécurité sociale, nos voisin·e·s s’organisent autrement. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Suède, la logique assurantielle domine. Cela rend les dépenses publiques moins visibles, mais souvent plus inégalitaires. La France reste fidèle à un modèle mutualisé – ce que je défends – mais elle le laisse dériver sans pilotage politique clair. Un paquebot sans capitaine, livré aux marées.

Le vieillissement de la population, en soi, n’est pas une surprise. Mais il met à nu une incapacité chronique à planifier. On ne veut ni augmenter les recettes, ni réformer en profondeur. On préfère tailler dans le muscle. Résultat : des personnels épuisé·e·s, des usager·e·s perdu·e·s, une colère sourde.

Et pourtant, nous pourrions faire autrement. Mais pour cela, il faudrait que le budget de l’État cesse d’être un document ésotérique réservé aux initié·e·s. Il faudrait des données publiques, continues, homogènes. Des débats citoyens, pas seulement techniques. Il faudrait que nous puissions, collectivement, décider de ce qui compte. De ce que nous voulons financer, maintenir, renforcer.

Car un budget, ce n’est pas un tableau Excel. C’est un acte politique. Une déclaration d’intention. Une vision du monde. Il dit ce qu’on choisit d’honorer – et ce qu’on choisit d’abandonner. Et aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’on sacrifie l’essentiel pour maintenir l’accessoire.

Alors, à celle·ux qui veulent bien encore y croire, je dis ceci : regardons lucidement où va l’argent. Interrogeons les priorités. Exigeons des comptes. Proposons d’autres voies. La République ne se tiendra debout que si elle investit dans ce qui la rend digne : ses services publics, ses territoires, ses promesses.

« Le budget est une déclaration politique bien plus sincère que n’importe quel discours », disait Aaron Wildavsky. Je souscris. Et je refuse que notre déclaration soit celle d’une résignation.


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