Une Lecture Des Tensions Contemporaines
Comprendre La Violence Symbolique Et Identitaire
Il m’arrive souvent de me demander pourquoi, dans une société qui revendique hautement l’égalité et la justice, les tensions identitaires semblent au contraire s’intensifier. Pourquoi des mouvements portés par la quête de réparation se transforment-ils parfois en affrontements symboliques ? J’ai eu envie de chercher une clé de lecture qui permette de comprendre sans juger, d’éclairer sans réduire. C’est ainsi que je me suis tournée vers une approche que je trouve profondément humaine : la théorie mimétique.
Selon cette théorie, notre désir n’est jamais totalement autonome. Il est façonné, influencé, voire dicté par le désir de l’autre. « Nous ne désirons pas les choses, mais le désir des autres », écrivait René Girard. Et cette dynamique, profondément humaine, devient source de rivalités dès lors qu’elle s’intensifie dans des contextes où les différences s’effacent.
En y réfléchissant, je me suis souvenue de situations où, adolescente, je voulais absolument porter ce que portait l’autre, avoir le même regard, la même reconnaissance. Ce désir, que je croyais personnel, était en fait un reflet. Il n’avait rien d’authentique. Et plus nous étions semblables, plus la rivalité grandissait, silencieuse mais réelle. C’est ce même mécanisme que l’on retrouve dans des mouvements sociaux quand l’indifférenciation devient une injonction.
La volonté de gommer toute différence – qu’elle soit culturelle, symbolique ou même sexuelle – est souvent portée par des intentions louables : inclusion, réparation, égalité. Pourtant, cette quête peut parfois engendrer une intensification des tensions mimétiques. « Si nous sommes toustes pareil·le·s, alors qui est l’oppresseur ? » Cette question, simple en apparence, en cache une autre, plus douloureuse : « Qui devons-nous désigner comme responsable de nos frustrations ? » Et c’est là que le wokisme, dans sa version la plus radicale, glisse vers une logique sacrificielle inversée.
Je l’ai observé dans certains débats publics, où l’on passe d’une logique de réparation à une logique d’exclusion inversée. Celle ou celui qui incarne la figure du dominant est transformé·e en figure à éliminer symboliquement. Le bouc émissaire change, mais le mécanisme reste le même. On croit renverser l’ordre injuste ; on ne fait parfois que rejouer la même scène sous un autre visage.
Ce choix de lecture mimétique me parle parce qu’il ne nie pas les luttes ni les souffrances. Il ne ridiculise pas les revendications. Au contraire, il offre un outil pour comprendre comment des intentions justes peuvent produire des effets contraires. Et surtout, il permet de redonner sens à la différence comme espace de respiration. Une société vivante ne peut pas être entièrement homogène. Elle doit accueillir les marges, les contrastes, les nuances.
Ce que je retiens, c’est qu’il ne s’agit pas d’abandonner les combats pour l’égalité, mais de les penser autrement. Peut-être que la vraie justice naît moins de l’effacement des écarts que de la reconnaissance des limites, des interdits symboliques, et du respect de ce qui nous distingue. Cette réflexion n’est pas une fin, mais un point de départ. Une invitation à repenser nos relations, nos attentes, et nos manières de désigner l’autre.
« Là où l’on sacrifie l’autre, on se sacrifie soi-même sans le voir », disait encore Girard. Cela me parle. Cela me guide.
Et vous, dans vos expériences personnelles ou professionnelles, avez-vous déjà ressenti que l’excès d’égalité pouvait paradoxalement nourrir un sentiment de conflit ? J’aimerais lire vos histoires, vos doutes, vos éclairages. Parce que c’est dans la pluralité des regards que naît une pensée vivante.








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