L’Art De Prévenir Plutôt Que De Subir
Comment Le Modèle Corse Inspire Une Résilience Face Aux Incendies En Temps De Crise Climatique
Chaque été, le souffle chaud du vent transporte avec lui l’odeur des pins chauffés et la crainte des flammes. Pour beaucoup, le feu est un ennemi à abattre. Pourtant, je crois profondément qu’il peut devenir un allié, à condition de le comprendre et de l’accompagner. C’est en observant ce qui se fait en Corse que j’ai découvert qu’il est possible de vivre avec lui, plutôt que de le subir.
Sur cette île méditerranéenne, les paysages portent l’empreinte d’une alliance subtile entre l’humain·e et la nature. On y prépare la terre, on anticipe les risques, on travaille avec le rythme du maquis. Les pare-feux serpentent entre les collines, les pistes d’accès permettent aux équipes d’intervenir vite, et les brûlages dirigés, réalisés en hiver ou au printemps, réduisent la charge combustible. Le pastoralisme, loin d’être une activité marginale, participe à l’entretien vivant du territoire, créant des zones de discontinuité où le feu perd de sa force.
Ce modèle repose sur la vigilance communautaire. Les comités locaux, constitués d’habitant·e·s volontaires, patrouillent, sensibilisent et interviennent dès qu’un départ de feu est signalé. Cette implication directe transforme la prévention en une pratique quotidienne, partagée, presque culturelle. Ce qui m’impressionne, c’est que ces gestes ne sont pas seulement techniques : ils témoignent d’une manière de penser la forêt comme un espace habité et soigné.
J’ai longtemps cru que protéger la nature signifiait s’en éloigner, ne pas y toucher. Mais en observant cette approche, j’ai compris que l’absence humaine peut parfois laisser place à l’embroussaillement, à l’accumulation de combustibles, et donc à des feux plus intenses. « Habiter un lieu, c’est aussi le cultiver et l’aimer », écrivait Baptiste Morizot. Cette idée résonne profondément en moi. Une forêt habitée par des bergers, traversée par des troupeaux, travaillée par des mains attentives, devient plus résistante aux colères de l’été.
Cette vision fonctionne, car elle conjugue le savoir traditionnel et la technologie moderne : des brûlages « froids » hérités de pratiques pastorales aux moyens aériens capables d’éteindre un feu naissant en quelques minutes. Elle inspire aussi d’autres régions, comme certaines zones d’Australie où les peuples aborigènes réintroduisent les feux culturels, ou en Californie, où des communautés locales militent pour des brûlages préventifs.
Bien sûr, cette méthode n’est pas sans défis. Elle exige des compétences précises, une coordination fine entre communes, services de secours et citoyen·ne·s, ainsi qu’une vigilance constante sur les conditions météorologiques. Les coûts d’entretien des pare-feux et des pistes, ou encore l’impact des fumées, peuvent susciter des réticences. Mais à mes yeux, ces obstacles sont moindres face au prix humain, écologique et économique des mégafeux.
Près de chez moi, j’ai vu des zones où le débroussaillement est devenu un moment de rencontre : voisin·e·s et familles se rassemblent pour entretenir les abords, partager un repas, échanger des conseils. Cela me rappelle que la prévention n’est pas qu’une affaire de règlement ; c’est une culture à faire vivre ensemble.
Ce que je retiens du modèle corse, c’est la puissance de la coopération : entre humain·e·s, mais aussi avec la nature. Ce n’est pas une lutte frontale, c’est un dialogue, parfois exigeant, souvent humble, où chaque geste compte. Dans un monde où le climat rend les incendies plus fréquents et plus intenses, il est urgent d’apprendre cette langue commune.
Vivre avec le feu, ce n’est pas s’y résigner. C’est reconnaître sa place dans l’équilibre du vivant, l’anticiper, le canaliser. Je rêve que cette vision inspire d’autres territoires, et qu’ensemble, nous puissions protéger nos terres sans les enfermer. Et vous, comment habitez-vous vos paysages ?
Références :
– Plan de Protection des Forêts Contre l’Incendie de la Corse 2024-2033 – Collectivité de Corse
– INRAE – Incendies et changement climatique
– Météo-France – Météo des forêts et prévention des incendies
– Baptiste Morizot – Sur la piste animale, éditions Actes Sud








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