Repenser Le Pouvoir Collectif À La Lumière De La Pensée De Spinoza
Depuis quelque temps, je ressens une lassitude diffuse chez mes proches, mes ami·e·s, et dans les discussions publiques. Une fatigue démocratique, faite de désillusions, d’incompréhensions et de méfiance. Il n’est pas rare d’entendre que la démocratie ne fonctionne plus, qu’elle est lente, impuissante, voire dépassée. Pourtant, je suis convaincue que cette crise n’est pas une fin, mais une invitation à interroger le sens profond de notre rapport au pouvoir. Car si nous continuons à concevoir la démocratie comme le règne de l’opinion personnelle ou de la majorité capricieuse, alors oui, elle s’effondre sur elle-même. Mais si nous la repensons comme un processus impersonnel, délibératif et collectif, alors elle devient un acte de puissance partagé.
J’ai choisi d’aborder cette réflexion à travers une figure souvent méconnue du grand public : Baruch Spinoza. Ce philosophe du XVIIe siècle, en avance sur son temps, propose une vision radicale de la démocratie. Il affirme que plus les individus participent à la vie politique, plus l’État devient stable et fort. Une idée qui peut sembler contre-intuitive dans un monde où la méfiance envers les institutions s’accroît. Et pourtant, cette pensée m’a interpellée. Car elle invite à concevoir la démocratie non comme un simple mode de gouvernement, mais comme une forme d’intelligence collective, nourrie par la raison commune plutôt que par les passions individuelles.
À l’époque classique, des penseurs et penseuses comme Hobbes ou Platon voyaient dans la démocratie une source d’instabilité. Ils craignaient la foule, la volatilité des émotions populaires, le chaos des décisions dispersées. Spinoza, quant à lui, ne nie pas la force des passions, mais il les comprend comme le moteur même de la vie collective. Il ne cherche pas à les réprimer, mais à les canaliser. Pour lui, la démocratie ne consiste pas à additionner des opinions individuelles, mais à faire émerger une volonté collective capable de dépasser les intérêts particuliers.
C’est pourquoi il insiste sur l’importance des assemblées délibératives. Certes, elles sont lentes. Certes, elles frustrent parfois nos désirs d’action immédiate. Mais elles sont le lieu où la raison peut s’exprimer, où les affects peuvent être modérés, où les décisions prennent sens dans un cadre commun. Ce n’est pas un hasard si de nombreuses expérimentations contemporaines, comme les conventions citoyennes, tentent de renouer avec cet idéal. Ces initiatives ne cherchent pas la performance, mais la légitimité. Elles incarnent cette idée spinoziste que « la vraie puissance d’un État réside dans sa capacité à inclure la pluralité sans se fragmenter ».
Je crois profondément que cette vision peut transformer notre manière d’habiter le politique. Non pas en idolâtrant la démocratie comme un absolu, mais en la vivant comme un processus imparfait, patient, toujours en construction. Un processus qui demande à chacun·e de renoncer à l’idée que sa propre vérité vaut plus que celle du groupe, pour s’ouvrir à une construction commune. Comme l’écrivait Simone Weil : « L’impersonnalité est la forme supérieure de la justice ». C’est là, selon moi, le cœur du message spinoziste.
En observant la montée des populismes, la concentration des pouvoirs autour de figures charismatiques, ou encore la méfiance croissante envers les institutions, je vois l’actualité de cette pensée. Elle ne propose pas un modèle figé, mais une direction : faire du pouvoir quelque chose qui nous dépasse, qui nous relie, qui nous oblige.
Finalement, ce que j’en retiens, c’est qu’il ne peut y avoir de démocratie sans ce choix courageux de faire confiance à la collectivité. Et que cela demande une certaine foi, non dans les institutions en elles-mêmes, mais dans notre capacité à construire ensemble quelque chose de plus grand que nous.
Je nous invite à y réfléchir, à en discuter, à l’éprouver dans nos engagements quotidiens. Parce que la démocratie n’est pas une affaire de personnes, mais une affaire de liens.







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