Un Bien Commun Qui S’Éloigne
Comprendre La Flambée Des Prix Et Réfléchir Ensemble À Un Littoral Plus Ouvert
J’ai toujours cru que la mer appartenait à tout le monde, sans condition. Pourtant, cet été 2025, je me suis retrouvée face à une réalité qui bouscule cette conviction : en Corse, sur certaines plages aménagées, le simple fait de poser une serviette sur un transat semble être devenu un luxe réservé à une minorité. Cette transformation me pousse à interroger notre rapport collectif aux loisirs, à la nature et à l’idée même de partage.
Sur les plages de Porto-Vecchio ou de Palombaggia, il n’est pas rare de voir un tarif de 40 ou 50 euros pour un transat avec parasol, parfois davantage selon l’emplacement. À cela s’ajoute souvent une consommation obligatoire, ce qui peut transformer une journée de détente en une dépense à trois chiffres pour une famille. Dans ce contexte, la plage n’est plus seulement un lieu de loisir, elle devient aussi un marqueur social.
Cette flambée des prix ne s’explique pas par un seul facteur. L’inflation générale, encore supérieure à 2 % au cœur de l’été, pèse sur les coûts. L’insularité impose des frais logistiques plus élevés, et les normes environnementales exigent des aménagements démontables et intégrés dans le paysage, souvent plus coûteux à installer et entretenir. Enfin, le choix assumé de positionner certains établissements sur un segment haut de gamme, avec service personnalisé et confort luxueux, participe à cette montée tarifaire.
Mais si ces raisons sont compréhensibles du point de vue économique, elles ne répondent pas à la question sociale qui se profile : qui peut encore se permettre d’accéder à ces espaces ? Les zones libres, elles, se saturent rapidement, créant une séparation implicite entre celles et ceux qui peuvent payer et celles et ceux qui renoncent. Cette division reflète une tendance plus large vers la privatisation d’espaces autrefois perçus comme communs.
Pour de nombreuses familles, le budget vacances subit une double pression : le coût du transport jusqu’en Corse et les dépenses sur place. Certain·e·s adaptent leurs habitudes, réduisent leur temps de présence sur les plages aménagées, partagent des plats ou se tournent vers des lieux gratuits, parfois éloignés ou moins accessibles. Cette adaptation, bien que nécessaire, traduit aussi une forme de renoncement.
Il existe pourtant des pistes pour rendre ces lieux plus accessibles. Certaines communes ont déjà mis en place des zones publiques équipées, avec des parasols et chaises à louer à tarif modéré. Les concessions pourraient intégrer dans leur cahier des charges une proportion d’équipements proposés à prix réduit. Les dispositifs d’aide aux vacances, comme les chèques-vacances, pourraient être élargis pour couvrir certaines prestations littorales. Et surtout, l’application stricte des règles garantissant 80 % du linéaire libre sur les plages naturelles serait un levier puissant pour maintenir un accès démocratique.
Ces questions ne sont pas seulement économiques. Elles touchent à notre culture des vacances, héritée des congés payés de 1936, qui ont fait de la mer un lieu de rencontre et d’égalité. Voir ces moments se raréfier pour certain·e·s, c’est voir s’éloigner un symbole fort d’émancipation et de partage. Comme l’écrivait Albert Camus, « Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible ». Cette phrase résonne ici comme un rappel : l’été devrait rester un espace ouvert, où chacun·e peut trouver son coin de soleil.
Je crois profondément qu’un équilibre est possible. Protéger l’environnement, assurer la viabilité économique des acteurs du tourisme et préserver un accès égalitaire aux loisirs ne sont pas des objectifs incompatibles. Mais cela demande un choix collectif, une volonté politique et une conscience citoyenne.
Au fond, la question est simple : voulons-nous d’un littoral où chaque mètre carré se loue au prix fort, ou d’un rivage qui reste un bien commun ? Mon espoir est que nous choisissions la deuxième option, non par nostalgie, mais par conviction que la mer, avec sa lumière et son horizon, doit continuer à rassembler plutôt qu’à diviser. Et vous, avez-vous déjà ressenti cette frontière invisible entre celles et ceux qui peuvent payer et celles et ceux qui renoncent ? Partageons nos histoires, pour que la discussion ne s’arrête pas à marée basse.
Références :
– Insee, données économiques régionales Corse, 2025.
– Observatoire des inégalités, rapport 2025 sur les départs en vacances.
– Décret n° 2019-482 relatif aux aménagements légers en zones littorales.
– Préfecture de Corse, principes de gestion du domaine public maritime, 2023.








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