Quand Le Féminisme Devient Un Accessoire De Mode
Analyse critique d’un phénomène social où l’esthétique supplante l’engagement
Il y a des personnages qui résument à eux seuls une époque. Aujourd’hui, ce sont ces hommes que l’on pourrait appeler des acteurs en quête de standing, des funambules entre authenticité et mascarade : les fameux hommes performatifs. Leur arme politique ? Un sac fourre-tout en guise de bannière et un matcha glacé en guise de manifeste. À les voir, on croirait que la révolution féministe a trouvé sa nouvelle égérie… dans un rayon lifestyle.
Je ne peux m’empêcher d’y voir un symptôme. Symptomatique de quoi ? D’une époque où l’engagement se mesure en accessoires instagrammables, où la conviction se réduit à un filtre appliqué sur TikTok. L’homme performatif ne porte pas le féminisme, il le porte comme un vêtement : une chemise de prêt-à-penser, taillée sur mesure pour séduire un électorat sentimental.
Le problème n’est pas qu’il tienne un livre de Simone de Beauvoir à la main, mais qu’il ne l’ait sans doute jamais ouvert. Car la sincérité se teste dans l’action, pas dans la mise en scène. Quand il s’agit de parler contraception, violences conjugales ou inégalités salariales, le silence se fait pesant. Là où l’allié sincère agit, le performatif pose. Là où l’engagement exige, il enjolive.
On pourrait en rire. Et d’ailleurs, on en rit : les concours du « meilleur homme performatif » organisés ici ou là servent de satire sociale, un défouloir où l’on récompense l’ironie d’une posture vide. Mais à trop tourner en dérision ces figures, on risque de banaliser le fond du problème : le détournement d’une lutte politique en gadget décoratif.
La dérive est d’autant plus inquiétante que le mot « performatif », jadis noble concept philosophique forgé par Austin et enrichi par Butler, signifiait la puissance d’un acte de langage qui crée la réalité. Aujourd’hui, il est devenu le synonyme d’un spectacle creux, une coquille vide prête à être recyclée par la machine à mèmes. C’est la politique au rabais, la militance discount, l’engagement en kit.
Et pourtant, dans cette mascarade, une part d’auto-dérision pointe parfois. Certains hommes jouent ce rôle en pleine conscience, se sachant caricatures ambulantes. On pourrait croire que cette lucidité ouvre une brèche. Mais qu’on ne s’y trompe pas : l’ironie seule ne fait pas un engagement. Comme le disait déjà George Orwell : « Dans une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire ». Encore faut-il vouloir dire quelque chose.
Je crois que nous avons collectivement besoin d’exiger davantage. Que les hommes qui se prétendent alliés cessent de brandir des accessoires comme alibis. Qu’ils s’engagent réellement dans la gouvernance quotidienne de l’égalité : au bureau, dans le foyer, dans la rue. Car le féminisme n’est pas un badge que l’on épingle, mais un chantier permanent qui exige de la sueur, du courage et une honnêteté sans fard.
Alors, oui, je souris en voyant ces caricatures si bien mises en scène. Mais je refuse d’y voir un simple folklore. Derrière les rires, il y a un enjeu crucial : ne pas laisser les luttes sociales devenir un décor pour selfies. Et si la génération du sac fourre-tout veut vraiment servir la cause, qu’elle commence par le remplir d’idées solides plutôt que de le laisser flotter comme une bannière creuse.
Références utilisées
– Huffington Post France : C’est quoi un homme performatif ? (2025)
– Billie : L’homme performatif : qu’est-ce que c’est ? (2025)
– La Vie des idées : Cultures féminines et féminisme (2021)
– Recherches féministes : Judith Butler et la performativité (2007)






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