Réflexion Sur Le Bilinguisme, L’éducation Et L’inclusion
D’aussi loin que je me souvienne, les langues ont façonné ma manière de voir le monde. Dans ma prime jeunesse, je parlais et écrivais en français, en corse et en italien. Plus tard, au collège, l’anglais et l’espagnol sont venus enrichir ce paysage linguistique déjà multiple. Pour moi, ces langues ne sont pas de simples outils de communication, elles sont des fenêtres ouvertes sur différentes manières de penser, de ressentir et de créer du lien. Aujourd’hui, je veux partager une réflexion personnelle sur le bilinguisme, son rôle dans l’éducation et ce qu’il dit de notre société.
On entend encore trop souvent l’idée selon laquelle un enfant doit d’abord bien apprendre le français avant de se tourner vers une autre langue. J’ai entendu cette phrase dans ma famille, dans des salles de classe et jusque dans des débats publics. Cette peur est profondément enracinée dans l’histoire française, où l’unité nationale a longtemps été associée à l’unicité linguistique. Pourtant, les recherches récentes montrent que ces inquiétudes ne reposent pas sur des preuves solides. Le bilinguisme ne fragilise pas le développement langagier, au contraire, il peut l’enrichir et offrir une meilleure conscience du fonctionnement des langues.
Ce qui me fascine, c’est la manière dont les scientifiques décrivent les effets du bilinguisme sur le cerveau. Les travaux montrent qu’apprendre et utiliser deux langues développe l’attention, la mémoire et la flexibilité cognitive. Comme un muscle que l’on entraîne, le cerveau bilingue s’adapte et devient plus apte à jongler entre différentes tâches. Bien sûr, certains chercheurs nuancent ces résultats et soulignent que l’effet varie selon le contexte social ou la méthode d’étude. Mais l’idée qu’une pratique quotidienne des langues façonne nos capacités cognitives est désormais difficile à ignorer. Comme l’a écrit François Cheng : « Chaque langue est une fenêtre ouverte sur l’univers, chacune avec sa lumière propre ».
L’école est sans doute l’un des terrains où ces questions prennent le plus de relief. J’ai vu, chez des proches ou dans mes propres expériences, combien le bilinguisme pouvait être un atout pour les enfants. Les jeunes qui grandissent avec deux langues développent souvent une sensibilité particulière à la structure des mots, aux sonorités, à la lecture. Mais tout dépend de la manière dont l’école accompagne ce bilinguisme. Si l’on valorise la langue maternelle de l’enfant, elle devient un tremplin. Si on la dévalorise, elle peut au contraire se transformer en fardeau. Cette différence me semble cruciale pour comprendre pourquoi le bilinguisme profite à certain·e·s et pas à d’autres.
Au-delà des murs de la classe, la diversité linguistique est aussi une richesse collective. Les langues régionales, comme le Corse que j’ai entendu dès mon enfance, portent des histoires et des cultures vivantes. Les langues internationales nous ouvrent à d’autres réalités et favorisent les échanges. Dans les deux cas, elles nourrissent notre capacité à reconnaître la pluralité de nos identités et à construire un vivre-ensemble plus riche.
Je crois profondément que le bilinguisme peut contribuer à une société plus inclusive. Il permet de mieux comprendre les autres, de dépasser les frontières invisibles qui nous séparent, et de donner une place à toutes les voix. Mais il reste un défi d’égalité : selon son origine sociale ou sa région, un·e enfant n’a pas les mêmes chances d’accéder à une éducation bilingue. Cette inégalité m’interpelle, car elle contredit l’idée que les langues devraient être une ouverture universelle et non un privilège réservé.
En repensant à mon propre parcours, je mesure combien les langues m’ont offert une richesse intérieure et une ouverture d’esprit que je n’aurais jamais pu acquérir autrement. Je suis convaincue qu’aujourd’hui, il nous appartient de dépasser les résistances et de voir le bilinguisme comme une chance pour nos enfants et pour la société. C’est une réflexion qui, je l’espère, pourra nourrir un débat plus large. Et vous, comment les langues ont-elles marqué vos expériences personnelles ou familiales ? J’aimerais beaucoup découvrir vos récits et vos points de vue.
Références
– Bialystok, E. (2024). Bilingualism modifies cognition through adaptation, not transfer.
– Bialystok, E. (2021). Bilingualism : Pathway to Cognitive Reserve.
– Lowe, C. J., et al. (2021). The bilingual advantage in executive functioning is not related to language status.
– UNICEF France (2024). Dans toutes les langues.
– Assemblée Nationale (2024). Rapport n°2642 sur l’enseignement des langues régionales.
– Ministère de l’Éducation nationale (2021). Cadre des sections bilingues.
– Ministère de l’Éducation nationale (2021). Cadre des sections bilingues.







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