Les petits billets de Letizia

Réflexion Sur L’importance De Préserver Nos Relations Professionnelles

J’ai souvent pensé que le travail ne se résumait pas à un contrat ou à une série de tâches à accomplir. Il est aussi, et surtout, une histoire de rencontres. Ces regards complices dans l’ascenseur, ces confidences échangées autour d’un café, ces rires qui éclatent au détour d’un couloir… Tout cela construit une toile invisible qui donne du sens à nos journées. Pourtant, je constate que ces liens se font plus rares, comme si le fil se distendait sous la pression d’un monde professionnel qui change à toute vitesse.

Les amitiés entre collègues ne sont pas de simples « plus » agréables. Elles jouent un rôle crucial dans notre bien-être, notre motivation et même notre créativité. Avoir quelqu’un·e sur qui compter au bureau ou en visio peut apaiser un stress, débloquer une idée, ou tout simplement rendre la journée plus légère. J’ai encore en mémoire ce moment où, dans un projet tendu, une collègue est venue discrètement poser une tasse de thé sur mon bureau en me disant : « Tiens, je sais que tu en as besoin ». Ce geste, anodin en apparence, m’a redonné l’énergie pour continuer.

Mais aujourd’hui, le télétravail, la généralisation des outils numériques et la culture de la performance individuelle redessinent nos relations. Les échanges deviennent plus fonctionnels, moins spontanés. Les écrans compressent la chaleur humaine en pixels et nous privent parfois de ces instants de connivence qui ne peuvent pas se programmer. Les réorganisations à répétition et la mobilité accrue font que l’on côtoie moins longtemps les mêmes personnes, rendant plus difficile la construction de liens solides.

Ces changements ne sont pas sans conséquences. L’isolement grandit, et avec lui, le désengagement silencieux. On accomplit ses tâches, mais on n’investit plus le même cœur dans ce que l’on fait. Ce retrait peut mener à un départ, ou simplement à une présence désenchantée. Comme l’écrivait Simone Weil : « L’attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité ». Or, dans un environnement où chacun·e se concentre sur ses propres objectifs, l’attention à l’autre devient un luxe que l’on ne prend plus toujours.

Face à ce constat, j’ai choisi de placer ma réflexion sur ce que nous pouvons faire, au quotidien, pour retisser les liens. Parfois, il suffit de petites choses : proposer un déjeuner en équipe, prendre cinq minutes avant une réunion pour échanger sans agenda, accueillir chaleureusement un·e nouveau·elle collègue. Les managers ont ici un rôle clé : ils peuvent instaurer des rituels, créer des espaces de convivialité, encourager l’entraide plutôt que la compétition. Mais nous avons toutes et tous notre part de responsabilité.

Je crois qu’il est possible de concilier efficacité et humanité. Cela demande de reconnaître que le lien social n’est pas un frein à la performance, mais un carburant précieux. Chaque geste compte, chaque moment d’écoute nourrit un climat de confiance. Et si nous commencions simplement par poser nos écrans quelques minutes pour demander : « Comment tu vas vraiment ? »

Nous ne pourrons peut-être pas arrêter les transformations en cours, mais nous pouvons choisir la manière dont nous y faisons face. En gardant vivantes ces amitiés, nous défendons plus que des liens : nous préservons l’âme même de notre travail.

Références :

– DARES, Comment évolue la pratique du télétravail depuis la crise sanitaire, 5 novembre 2024.

– ANACT, Isolement : Ce qui nous relie aux autres au travail, c’est l’activité, 4 août 2021.

– Gallup, The Increasing Importance of a Best Friend at Work, 2024.

– Fabrique Spinoza, Réenchanter le travail, 14 mars 2025.