Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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La Symbolique Des Noms D’Établissements Scolaires En Corse

La Symbolique Des Noms D’Établissements Scolaires En Corse

Pour Une École Qui Fleurit Plutôt Qu’Une École Qui Divise

Chaque fois que je passe devant une école en Corse, je lis sur la plaque le nom d’une personnalité politique, d’un héros militaire ou d’un saint. Et chaque fois, je ressens un léger tiraillement. Ces noms que nous choisissons ne sont pas neutres : ils tracent une mémoire, ils définissent un récit collectif, ils inscrivent une hiérarchie symbolique dans l’espace éducatif. Donner à une école le nom de Paoli, de Jaurès ou de Jean-François Filippi, c’est inviter les enfants à entrer chaque jour dans une histoire choisie par d’autres. Mais que disent ces choix à celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans ces références ?

Je crois profondément que nommer une école est déjà une leçon donnée avant même d’entrer en classe. Or cette leçon est souvent partiale, parfois douloureuse. Le débat récent à Lucciana autour de l’inauguration d’une école Jean-François Filippi l’a montré : pour certains, c’est un hommage légitime ; pour d’autres, c’est une blessure rouverte, une mémoire contestée. Comment demander à des enfants d’apprendre sous l’égide d’un nom qui divise leurs familles et fragilise la mémoire collective ?

Il est temps de reconnaître que notre manière de nommer les établissements est prisonnière d’un modèle hérité de la IIIe République : une logique de panthéonisation qui sacralise des figures masculines, politiques et militaires. Certes, une évolution existe : depuis 2017, la part des femmes honorées s’élève, timidement, mais les déséquilibres demeurent massifs. Les chiffres officiels sont clairs : près de 80 % des collèges et lycées portent encore le nom d’une personnalité, et la féminisation reste marginale. Derrière cette répartition, il y a l’idée que seule une personne « illustre » mérite d’être inscrite dans la pierre.

Mais une école n’est pas un mausolée, c’est un lieu vivant. Je rêve d’une école qui porte le nom d’une fleur, d’une rivière, d’un lieu corse à partager, plutôt que celui d’un personnage qui divise. Une école « des Oliviers », un collège « des Étoiles », un lycée « Monte Cintu ». Ces choix seraient plus inclusifs, plus apaisés, et offriraient aux élèves un rapport symbolique ancré dans la nature et dans le territoire commun, sans hiérarchie imposée. Comme l’écrivait Pierre Nora, « les lieux de mémoire sont avant tout des lieux où la mémoire se cristallise et se réfugie ». Pourquoi ne pas choisir des symboles qui rassemblent au lieu de noms qui séparent ?

En proposant de tourner la page des noms de personnalités, je ne nie pas l’importance de la mémoire historique. Au contraire, je souhaite que la mémoire se vive en classe, à travers les programmes, les débats, les projets pédagogiques, plutôt que figée sur une plaque à l’entrée. Libérons les murs des écoles de ce poids symbolique pour mieux transmettre, à l’intérieur, la richesse des figures qui ont marqué l’histoire.

Nommer une école, c’est faire un choix de valeurs. Continuons-nous à sanctifier des héros, ou décidons-nous de semer, dès la porte d’entrée, une graine de diversité, d’égalité et de bienveillance ? Je suis convaincue que l’avenir scolaire en Corse, comme ailleurs en France, mérite des noms qui fleurissent, qui respirent, qui apaisent. Il est temps de donner à nos enfants des écoles qui portent des noms de vie, non de division.

PS : Je pense la même chose pour les noms de rues, d’immeubles, de lotissements et de tous lieux recevant du public.

Références principales

– Ministère de l’Éducation nationale, « De quoi les établissements scolaires sont-ils le nom ? », février 2024.

– Le Monde, « Nommer une école Samuel-Paty, un acte symbolique et souvent discuté », 16 octobre 2024.

– Sénat, Question écrite sur la dénomination des établissements scolaires, 3 octobre 2024.

– Corse-Matin, reportage sur la polémique de l’école Jean-François Filippi à Lucciana, août 2025.


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