Miroir Déformant Ou Alarme Sociale ?
Quand L’Identité Partagée Devient Une Prison
J’ai grandi dans un pays où l’on nous apprend à aimer nos racines, à revendiquer nos particularités, à défendre nos communautés. Cette fierté, en soi, n’est pas un mal. Mais quand je regarde autour de moi, je vois trop souvent cette fierté se transformer en un miroir déformant. Ce que certain·e·s appellent « amour du groupe » devient obsession, exigence d’admiration, rejet de toute critique. Et je ne peux m’empêcher de penser : quand avons-nous cessé de regarder le monde avec lucidité pour préférer l’illusion flatteuse du narcissisme collectif ?
Le narcissisme collectif, c’est ce poison subtil qui s’infiltre dans nos sociétés. Il ne se contente pas de valoriser l’appartenance : il réclame des applaudissements, il exige reconnaissance et validation. Dans mes lectures, j’ai découvert qu’il naît souvent d’une blessure, d’une insécurité, d’un sentiment d’humiliation. Ce n’est pas un hasard si les communautés qui se sentent ignorées ou méprisées deviennent les plus avides de reconnaissance. Mais cette quête tourne vite à l’exclusion. Comme si aimer son groupe signifiait mépriser les autres.
Les exemples abondent. Je pense à la Corse, où la revendication identitaire se mue parfois en crispation. À la Bretagne, où l’attachement à une culture riche peut basculer dans une forme de fermeture. Je pense surtout à l’Algérie, où l’histoire coloniale a laissé des plaies si profondes que l’affirmation nationale en est devenue une nécessité vitale, parfois jusqu’à l’excès. À chaque fois, la mécanique est la même : une mémoire blessée, une identité sur la défensive, et une exigence démesurée de reconnaissance.
Et les conséquences sont là, brutales. Les sociologues l’ont montré : plus un groupe se sent incompris, plus il se replie. Plus il se replie, plus il se durcit. Le narcissisme collectif nourrit les complots, légitime les populismes, alimente le rejet des savoirs scientifiques. Il suffit de voir les débats sur le climat ou la pandémie : quand la fierté groupale se sent menacée, la raison s’efface au profit du soupçon et de la colère. Le narcissisme collectif devient alors un feu qui consume la cohésion sociale.
Certains diront qu’il n’est pas toujours négatif, qu’il peut renforcer la solidarité et maintenir vivante une culture. Je ne le nie pas. Mais ce vernis de positivité est fragile. Car dès que la fierté se transforme en revendication agressive, elle devient une arme. Et cette arme ne vise pas seulement l’autre : elle finit par blesser le groupe lui-même, prisonnier de son propre mythe.
Alors oui, il est temps de dire stop. Nous devons réapprendre à aimer nos identités sans les transformer en idoles. Nous devons cultiver des appartenances ouvertes, qui ne s’alimentent pas du rejet mais du dialogue. Cela exige des choix politiques courageux, des pédagogies nouvelles, une éducation à l’esprit critique et à l’empathie. Car seule l’empathie, cette capacité à se projeter dans l’autre, peut fissurer le miroir déformant et rendre à l’identité son vrai visage.
Je ne veux pas d’une société où chaque groupe se contemple dans son reflet glorieux en oubliant le monde autour. Je veux une société où l’on se reconnaît dans sa diversité, où l’on ne demande pas d’être adoré·e, mais compris·e. Ce n’est pas de grandeur illusoire dont nous avons besoin, c’est de vérité partagée.








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