Laïcité En France
Entre Neutralité Et Hypocrisie
Je me souviens du 15 mars 2004 comme d’un tournant. L’école de la République osait enfin dire que l’espace de savoir devait rester vierge des marqueurs religieux. On parlait de « neutralité », de « respect », d’« égalité ». En réalité, il s’agissait surtout d’endiguer l’intrusion des dogmes dans les salles de classe. Puis, en 2010, la dissimulation du visage dans l’espace public fut interdite. Une mesure nécessaire, mais présentée comme une évidence quasi hygiénique. La République s’armait pour défendre ce qui aurait dû être une évidence : dans l’espace commun, la religion n’a rien à faire.
On me reproche souvent mon antithéisme. J’assume. Je considère les religions comme toxiques, parce qu’elles enferment, hiérarchisent, instrumentalisent. Certaines vont jusqu’à tuer, d’autres à opprimer sournoisement. En tant que femme, je ne peux oublier que trop souvent, derrière le voile ou le dogme, se cache une main qui contrôle. Et l’État, dans son obstination à ménager tout le monde, fait parfois preuve d’une lâcheté inquiétante. On parle de « liberté de conscience », mais où est la liberté de conscience des élèves confronté·e·s à des injonctions familiales, des pressions communautaires, des carcans idéologiques ?
Je ne crois pas à la sacralité de la laïcité comme concept intangible. Elle n’est pas figée, elle est un champ de bataille. Chaque décennie la reconfigure selon les peurs du moment : intégrisme islamiste, crispations identitaires, communautarisme. L’Observatoire de la laïcité l’avait rappelé : la majorité des Français·e·s y tiennent, mais en ignorent les contours exacts. Et dans cette brume, les politiques s’engouffrent. Leurs discours tranchent, tonnent, stigmatisent parfois, quand la réalité de l’action publique est plus grise, hésitante, contradictoire.
Les services publics portent ce fardeau avec plus de subtilité. Dans une école, dans un hôpital, dans une mairie, on improvise au quotidien. On négocie entre la règle et l’humain. On applique la neutralité, mais on se heurte à la demande d’aménagement, au refus d’un soin par une soignante, au prosélytisme discret dans une cour de récréation. La neutralité devient un exercice d’équilibriste. Et quand les agent·e·s ne sont pas suffisamment formé·e·s, le risque d’arbitraire grandit.
À l’international, notre modèle fait figure d’exception. On nous admire pour notre rigueur, mais on nous accuse aussi de discriminer. C’est la rançon d’une position claire : oui, la laïcité française n’est pas celle du multiculturalisme anglo-saxon. Elle n’offre pas la vitrine des religions dans l’espace public. Elle les renvoie à la sphère privée. Et j’en suis fière. Mais je reste lucide : ce modèle est fragile, instrumentalisé, mal expliqué, parfois mal appliqué.
Ce que j’attends de la République, ce n’est pas qu’elle protège la religion, c’est qu’elle protège contre la religion. Elle doit avoir le courage de dire que toutes les croyances, quelles qu’elles soient, ne valent pas plus que les superstitions anciennes. Elle doit former ses agent·e·s, renforcer la pédagogie, clarifier ses règles. Elle doit cesser d’agiter la laïcité comme un chiffon rouge dans les campagnes électorales et l’incarner comme une exigence quotidienne. La laïcité n’est pas une option. Elle est notre dernière digue contre l’obscurantisme. Si elle cède, ce n’est pas seulement l’école qui s’effondre, c’est l’idée même de liberté.
Références
Légifrance, Loi n°2004-228 du 15 mars 2004, publiée le 15 mars 2004
Légifrance, Loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010, publiée le 11 octobre 2010
Observatoire de la laïcité, Rapport annuel 2019-2020, publié le 9 décembre 2020
Ministère de l’Éducation nationale, « Laïcité à l’école : la loi du 15 mars 2004, 20 ans après », publié en 2024








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