Le Rachat Qui Étouffe L’île
Quand Les Routes Maritimes Et Les Colonnes De Papier Deviennent Les Armes D’un Pouvoir Silencieux
Je suis née et j’ai grandi en Méditerranée. Ici, la mer n’est pas qu’un horizon, c’est un cordon vital. Pourtant, depuis que Rodolphe Saadé a mis la main sur « La Méridionale » et sur « Corse-Matin », je vois ce cordon se tendre et se rétrécir. Derrière l’image lisse du « sauveur d’entreprises », je sens la poigne d’un empire logistique qui étend ses tentacules dans nos ports comme dans nos journaux. « Un armateur qui devient éditeur, ce n’est pas anodin ». Ce n’est pas une diversification, c’est une stratégie d’emprise.
On me dira : il investit, il modernise, il commande des navires « verts ». C’est vrai. Mais à quel prix pour l’âme insulaire ? La Commission européenne enquête déjà sur les aides publiques versées à cette desserte stratégique. Les syndicats corses crient leur inquiétude. Et moi, lectrice et passagère, je m’inquiète aussi. Parce qu’un monopole sur les ferries et sur l’information locale n’est pas une simple ligne comptable : c’est un verrou sur la liberté de circuler et de penser. « Quand un seul acteur contrôle la mer et le récit, il tient l’île par la gorge ».
Dans « Corse-Matin », la voix des insulaires se mêle désormais à celle d’un actionnaire géant. Qui peut garantir l’indépendance éditoriale ? Les chartes d’éthique n’ont de poids que si elles sont juridiquement contraignantes. Les élues et élus de l’Assemblée de Corse réclament des garanties ; elles et ils ont raison. Sans contre-pouvoir, la bienveillance affichée se transforme vite en douce colonisation économique.
Je ne rejette pas l’investissement privé. Je rejette le fait accompli qui étouffe le pluralisme et instrumentalise la continuité territoriale. Nous avons besoin d’un comité de suivi indépendant, d’une charte d’indépendance éditoriale, d’une clause sociale ferme dans les DSP. Sinon, nous finirons otages des tarifs maritimes et des narrations officielles.
Je le dis avec colère mais sans haine : « Il est temps de briser ce silence ». Il est temps que les citoyennes et citoyens exigent que l’argent et l’influence n’achètent pas notre horizon ni nos mots.







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