Petite Tragédie Corse En Trois Actes
Analyse d’une stratégie touristique controversée entre promesses économiques, enjeux sociaux et défis écologiques.
On nous l’a vendue comme une révélation. Comme si la Corse avait enfin trouvé sa pierre philosophale. On appelle ça « achat de flux ». Trois mots secs, trois mots creux. La promesse ? Allonger l’été. Repousser l’automne. Tordre le calendrier. Faire croire que septembre peut être août, et que novembre rime avec baignade.
Je regarde ce dispositif et je ris. Un rire amer, un rire qui grince. Parce qu’il n’y a là rien de neuf, rien de visionnaire. Juste une rustine plaquée sur une roue crevée. Acheter des sièges d’avion comme on achète un peu de temps. Voilà l’horizon. Voilà le rêve.
On nous dit : « 2,5 millions pour 100 millions de retombées ». J’entends ces chiffres comme on entend une promesse de magicien. Le tour est spectaculaire, mais la ficelle est grosse. Qui touchera vraiment ces retombées ? Les grands hôtels de la côte, les restaurants déjà bondés, les entreprises bien placées. Les villages de l’intérieur ? Les jeunes précaires ? Ils attendront. Encore. Toujours.
Et pendant ce temps, on nous chante l’hymne de l’emploi retrouvé. Quelle farce. En Corse, chaque été est une chasse désespérée au personnel. Les affiches « cherche serveur·se » fleurissent comme des coquelicots au bord des routes. Les postes restent vides, les salaires stagnent, la fatigue s’installe. Et que fait-on ? On prolonge le supplice. Plus de mois, mais pas plus de dignité. C’est une corde qu’on tend, pas une main qu’on tend.
Puis vient la ritournelle juridique. Ah, « ambiguïtés ». Quel mot délicieux, parfumé de bureaucratie. Derrière, il y a l’angoisse de Bruxelles. L’épée de Damoclès européenne qui plane au-dessus des subventions. Tout peut s’écrouler au premier contrôle, au premier recours. Et nous serons là, à contempler les décombres d’une illusion, comme des enfants qui pleurent leur château de sable effondré.
Mais le plus pathétique reste l’arrogance. On affirme que ce projet est « sans équivalent en Europe ». Quelle blague. Pendant que les Canaries, les Baléares, l’Algarve inventent de nouveaux récits – tourisme culturel, santé, sport, durabilité –, la Corse, elle, se contente d’acheter du kérosène. Voilà notre génie. Voilà notre ambition.
Je suis révoltée parce que cette mascarade coûte cher. Pas seulement en millions, mais en avenir. Car derrière l’écran de fumée, les problèmes persistent. L’eau se fait rare. Les poubelles débordent. Les routes s’engorgent. Les paysages s’abîment. Et que fait-on ? On rajoute des passagers dans un bateau déjà trop plein.
Alors oui, cette stratégie est une tragédie. Une tragédie en trois actes. Acte I : l’illusion budgétaire. Acte II : la promesse sociale trahie. Acte III : l’effondrement écologique. Le rideau tombe, mais le public n’applaudit pas. Parce que ce spectacle, nous le payons tous. Parce qu’il ne s’agit pas d’un divertissement, mais de notre avenir commun.
Et si je crie aujourd’hui, c’est parce que je refuse de voir ma terre transformée en parc d’attraction low cost, réglé par le calendrier des compagnies aériennes. Je veux une Corse qui pense plus loin que ses plages et ses billets d’avion. Je veux une Corse qui invente, qui ose, qui protège. Pas une Corse prisonnière d’un été éternel qui n’a plus rien de paradisiaque, mais tout d’un cauchemar.








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