Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Apprendre À Penser Dès L’enfance

Apprendre À Penser Dès L’enfance

Pourquoi et comment introduire la philosophie à l’école primaire ?

Éveiller Le Jugement Critique Et L’émancipation À L’école Primaire

Dès les premières années de la vie scolaire, l’enfant s’interroge spontanément sur ce qui l’entoure : le bien et le mal, la mort, l’injustice, l’amitié. Cette capacité native d’étonnement, que Platon voyait comme la racine même de la philosophie, semble offrir un terrain propice à l’introduction d’une démarche réflexive dès l’école primaire. Pourtant, l’enjeu n’est pas simplement de transmettre des contenus savants mais de créer un espace d’expérimentation intellectuelle. Se pose alors la question suivante : comment faire de la philosophie à l’école un lieu d’émancipation sans céder à la tentation de l’infantilisation ni réduire cette pratique à un exercice rhétorique précoce ? La présente réflexion se propose d’examiner d’abord l’intérêt d’une initiation philosophique dès le plus jeune âge, puis les conditions et les limites qui en garantissent la pertinence.

En premier lieu, introduire la philosophie dans les premières classes répond à un double objectif d’émancipation et de socialisation intellectuelle. Des études récentes ont montré que des ateliers de discussion philosophique favorisent le développement de la pensée critique, de la capacité à justifier ses propos et à écouter autrui. Inspirée de la démarche de Matthew Lipman, fondée sur la « communauté de recherche », cette pratique privilégie l’exploration collective du sens plutôt que la simple acquisition de réponses. Elle prolonge en cela la perspective kantienne selon laquelle l’autonomie morale et intellectuelle s’acquiert par l’exercice même du jugement. Loin de figer l’enfant dans un rôle passif, la discussion philosophique en classe primaire valorise sa parole et en fait un·e interlocuteur·rice à part entière. La confrontation d’idées, lorsqu’elle est guidée avec tact, conduit à dépasser les opinions égocentrées pour tendre vers une argumentation véritable. Ainsi se dessine une pédagogie du questionnement qui, plus que l’apprentissage d’un corpus, ouvre à l’expérience de la liberté de penser.

Cependant, cet idéal ne va pas sans conditions ni précautions. La philosophie n’est pas une activité spontanée mais un exercice exigeant. Si elle est introduite sans préparation, elle risque de sombrer dans une forme d’académisme prématuré ou de mimétisme adulte. L’enfant peut alors reproduire les formulations du maître sans accéder réellement au travail réflexif. Pour éviter cet écueil, la formation des enseignant·e·s est déterminante. Elle doit porter autant sur les contenus que sur les méthodes de discussion et la gestion de la dimension affective. Des chercheurs et chercheuses en sciences de l’éducation soulignent que l’atelier philosophique n’est pas une conversation ordinaire mais un cadre spécifique où l’écoute, la reformulation et la problématisation se construisent progressivement. Cette médiation permet de tenir ensemble l’accueil des émotions et l’exigence conceptuelle, d’où l’importance d’une progression adaptée à l’âge des élèves.

Enfin, l’intégration de la philosophie à l’école primaire suppose de repenser le paradigme éducatif. Plutôt que de concevoir l’enseignement comme une transmission unilatérale de réponses, il s’agit d’encourager la construction collective du sens et de favoriser la créativité intellectuelle. Nietzsche rappelait que l’on n’apprend vraiment qu’en désirant apprendre ; offrir aux enfants un espace pour penser, c’est reconnaître leur capacité d’invention et de questionnement. Une telle reconnaissance n’est pas seulement un choix pédagogique : elle traduit une certaine conception de la citoyenneté et du vivre-ensemble. C’est pourquoi la philosophie à l’école doit être envisagée comme un processus progressif et inclusif, capable de former des esprits critiques sans renoncer à la bienveillance ni à la rigueur.

En conclusion, l’enseignement de la philosophie dès le plus jeune âge représente une chance de cultiver l’autonomie intellectuelle et le sens du dialogue, à condition d’être accompagné d’une réflexion approfondie sur ses finalités et ses méthodes. Il ne s’agit ni d’ériger les enfants en « petits philosophes » ni de leur imposer des dogmes conceptuels, mais de leur donner les moyens de s’interroger, d’argumenter et de construire ensemble une pensée partagée. C’est à ce prix que la philosophie à l’école pourra devenir un espace authentique de liberté et non un simple exercice de style.

Références principales :

— Michel Tozzi, « La Discussion À Visée Philosophique À L’école Primaire », 2012.

— Conseil National d’Évaluation du Système Scolaire, « Rapport D’activité », 2024.

— Article OpenEdition, « Dérives Impactant La Pérennisation Des Ateliers Philosophiques », 2024.


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