Les petits billets de Letizia

La France Se Trompe D’Urgence

Quand La Loi Se Fait Plus Bruyante Que Juste

En 2023, les tentatives d’homicide ont bondi de 12 %. Voilà le chiffre brandi comme un talisman pour justifier des lois de plus en plus sévères. Mais faut-il croire que durcir toujours plus les peines suffira à calmer le tumulte social ? La réponse est moins évidente qu’il n’y paraît. Car derrière les slogans sécuritaires, derrière les effets de manche parlementaires, se cache une réalité autrement plus complexe. Et parfois plus dérangeante : la répression seule ne suffit pas.

On nous parle d’« efficacité ». Mais que disent les faits ? Les rapports officiels le répètent : les courtes peines et la multiplication des incarcérations n’ont pas l’effet magique qu’on promet. La récidive demeure massive, y compris après des mesures dites « alternatives ». Même le travail d’intérêt général, censé offrir une voie de réinsertion, affiche près de 60 % de récidive à cinq ans. Alors, à quoi bon gonfler les chiffres de condamnations si les mêmes personnes reviennent, encore et encore, devant les tribunaux ? L’obsession punitive ressemble moins à une solution qu’à une fuite en avant.

Le cas des mineur·es est encore plus criant. Désormais, dès 16 ans, certain·e·s peuvent être jugé·e·s en comparution immédiate. La fameuse « excuse de minorité » se réduit comme peau de chagrin. On veut les traiter en adultes ? On les condamne, mais sans leur donner les moyens d’apprendre autre chose que l’exclusion. Or, faut-il rappeler que ces adolescent·e·s ne sont pas des monstres froids mais des jeunes souvent arraché·e·s à l’école, aux services sociaux, à l’écoute bienveillante d’éducateurs et éducatrices de rue qui manquent cruellement de moyens ? La stigmatisation produit ce qu’elle prétend combattre : un enfermement durable dans la délinquance.

Et puis, il y a la peur. Cette peur savamment entretenue, martelée par des manchettes de journaux et des discours martiaux. Le fameux « sentiment d’insécurité » grimpe, alimenté par une dramaturgie quotidienne. Mais quand on regarde les statistiques réelles, l’écart saute aux yeux. Oui, certaines violences augmentent, mais non, nous ne vivons pas dans un pays au bord de la guerre civile. Cette panique morale, fabriquée et recyclée, sert surtout à imposer des mesures que l’on n’aurait jamais osé présenter en temps de calme. Faut-il rappeler que Montesquieu écrivait déjà : « Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle qu’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice » ?

Car c’est bien de libertés qu’il s’agit. Supprimer certaines garanties judiciaires au nom de l’efficacité, réduire les voies de défense pour accélérer les procès, transformer des juges en simples validateurs d’une logique répressive : tout cela interroge. Est-ce vraiment la justice que nous voulons ? Ou bien un simulacre expéditif, où l’apparence d’ordre prime sur l’équité ?

Une politique pénale digne de ce nom devrait reposer sur trois piliers : la prévention sociale, l’investissement éducatif et le respect scrupuleux des droits fondamentaux. Il est temps de regarder ailleurs que dans le rétroviseur de la répression. Investir dans les éducateurs et éducatrices de rue, renforcer la protection judiciaire de la jeunesse, développer des parcours d’insertion, voilà des mesures qui, elles, réduisent durablement la criminalité. Encore faut-il avoir le courage politique de le reconnaître.

Références principales :

– Loi n°2023-1059 de programmation Justice (20 novembre 2023)

– Rapport SSMSI « Insécurité et délinquance en 2023 » (18 juillet 2024, mis à jour 18 février 2025)

– Avis du Défenseur des droits sur la proposition de loi « restaurer l’autorité » (21 novembre 2024)

– Cour des comptes, « Évaluation de deux peines alternatives à l’incarcération » (4 mars 2025)