Comprendre Un Mouvement Intime Et Social
Entre Émancipation, Consentement Et Redéfinition De Soi
Je me suis souvent demandé ce que signifiait vraiment « se déprendre ». Le mot paraît simple, mais il cache une profondeur insoupçonnée. Dans nos vies où tout semble nous tirer, nous capter ou nous retenir – que ce soit une relation, un travail ou une idéologie – la déprise apparaît comme un souffle, une pause, une chance de reprendre la main sur soi. Elle n’est pas une fuite, mais un mouvement intérieur vers la lucidité.
Dans le champ psychologique et sociologique, la déprise désigne ce moment où l’on redistribue son énergie, où l’on choisit de se détacher de certaines attaches devenues trop lourdes. Ce processus a d’abord été étudié chez les personnes âgées : on y voyait une « économie des forces », une manière de se recentrer sur l’essentiel. Pourtant, cette idée s’applique bien au-delà du vieillissement. Se déprendre, c’est reconnaître ses limites, mais aussi préserver son autonomie. C’est admettre que tout engagement a un coût, et que se retirer, parfois, est un acte de soin envers soi-même.
La déprise n’est pas l’opposé de la prise ; elle en est le prolongement naturel. Dans chaque relation, professionnelle ou affective, nous traversons des phases de prise – quand nous nous impliquons – et d’emprise – quand quelque chose ou quelqu’un prend sur nous. La déprise vient ensuite, comme un contre-mouvement de libération. Ce processus n’est ni instantané ni linéaire. Il se construit par étapes : prise de conscience, détachement progressif, puis redéfinition de soi. Comme lorsqu’on sort d’une relation amoureuse étouffante : la séparation n’efface pas l’autre, mais elle permet de se réapproprier son espace intérieur.
Dans l’intime, la déprise questionne le consentement. Dire « oui » ne suffit pas toujours à signifier l’accord libre et éclairé. On peut consentir tout en étant sous emprise, par peur, par habitude, ou par dépendance affective. La déprise, dans ce cas, devient un acte d’émancipation. Elle offre la possibilité de reprendre son pouvoir de dire « non », de choisir à nouveau. Depuis les mouvements comme « #MeToo », cette réflexion a pris une dimension collective : parler, c’est déjà amorcer la déprise ; écouter, c’est la rendre possible.
Mais se déprendre ne concerne pas que l’amour ou la vie privée. Dans le champ politique et médiatique, la déprise consiste à refuser l’adhésion aveugle, à sortir de la servitude volontaire. C’est une manière de résister aux récits dominants, de remettre en cause les évidences imposées. En ce sens, la déprise devient un geste politique : se désidentifier de ce qu’on attend de nous, reprendre possession de sa parole et de son regard. Foucault parlait déjà de « désubjectivation » : se déprendre de certaines formes d’identité pour accéder à une liberté plus authentique.
Apprendre la déprise, c’est donc apprendre à se redéfinir. Ce n’est pas un renoncement, mais une transformation. On quitte ce qui enferme pour mieux respirer. On accepte de ne plus tout maîtriser pour retrouver le pouvoir d’agir autrement. La déprise n’est pas un abandon du monde, mais une manière de s’y tenir autrement, avec discernement et liberté.








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