Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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La France Sans Guillotine : Tragédie Nationale Et Farce Collective

La France Sans Guillotine : Tragédie Nationale Et Farce Collective

Quand Le Parlement Tranche Sans Lame

La Justice, L’Opinion Et Les Fantômes De 1981

Je m’imagine être le jour où j’aurai appris que la France a rangé sa guillotine au grenier. C’était en cours d’histoire, un mardi après-midi – ce genre de moment où la lumière traverse les stores comme un souvenir poussiéreux. La professeure, grave et fière, annonçant : « En 1981, la France abolit la peine de mort ». Dans sa voix vibrait quelque chose de solennel, une résonance d’orchestre républicain. Moi, je voyais surtout une guillotine rouillée, abandonnée dans un hangar, se balançant sous le vent comme une vieille star de cinéma qu’on ne rappelle plus.

Et pourtant, quelle tragédie de ne pas avoir consulté le peuple ! À l’époque, une majorité de Français·e·s, paraît-il, auraient préféré garder la lame bien affûtée. Mais le gouvernement, persuadé d’incarner la conscience de la Nation, décida que certains choix – comme abolir la mort en grande pompe – ne se votaient pas à coup de bulletins, mais de valeurs. Robert Badinter, dans un discours que j’imagine prononcé sous une lumière dorée, lança : « Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort ». Je ne sais pas si le silence qui suivit fut celui du respect ou celui du doute, mais j’aime à penser qu’on entendit une mouche républicaine se poser sur le velours d’un fauteuil.

Depuis, la France vit sans guillotine, mais pas sans regrets. Les sondages, ces oracles de papier, nous rappellent régulièrement que plus d’un·e Français·e sur deux rêve parfois d’un retour de la justice tranchante. En 1980, c’était 61 % ; en 2020, environ 55 %. Apparemment, l’envie de couper court aux crimes résiste mieux que la mode des épaulettes. Chaque décennie, à la faveur d’un attentat ou d’un fait divers, le débat ressurgit, enfiévré, théâtral. Le peuple s’indigne, la classe politique soupire, et les juristes relisent la Convention européenne des droits de l’homme comme on relit une vieille promesse faite sous serment : « Plus jamais ».

Il faut dire que nous sommes des êtres sensibles : un drame, un cri, et nous voulons des têtes. Après les attentats de 2015, certain·e·s ont réclamé un retour à la peine capitale, comme si elle pouvait venger l’indicible. C’est humain, presque poétique, cette illusion que la mort pourrait réparer la mort. Mais au fond, c’est une tragédie comique : le désir de justice s’habille souvent de la même robe que la vengeance, juste changée de col. Et pendant que l’émotion monte, la raison, elle, sort prendre l’air.

Le pouvoir, lui, reste stoïque. Car il sait qu’en Europe, la guillotine est aussi morte que le franc. Les traités, les protocoles, les chartes internationales – tout un arsenal juridique – protègent l’abolition comme un trésor moral. Rétablir la peine de mort reviendrait à déchirer la Déclaration des droits de l’homme en confettis tricolores : grand effet de scène, désastre diplomatique assuré. Les politiques le savent : c’est un combat impossible, perdu d’avance, comme vouloir faire élire une potence à l’Académie française.

Et pourtant, il suffirait d’un rien pour que la nostalgie s’invite. Un crime atroce, une campagne électorale, un micro tendu au bon moment : et voilà que resurgit le vieux débat, tel un spectre en redingote. Ce n’est pas tant la peine de mort qui hante la France que l’idée qu’on ait décidé sans elle. Comme si le peuple, frustré de ne pas avoir tranché, gardait le souvenir d’une justice confisquée.

Alors je m’interroge. Peut-être faut-il enseigner non pas seulement l’histoire de la guillotine, mais celle du courage politique : celui de choisir la vie, même quand le peuple réclame le sang. L’éducation aux droits humains, c’est cela : apprendre que la justice n’est pas une revanche, mais une responsabilité.

Et je me dis que, dans un théâtre invisible, quelque part, la guillotine se rengorge, vexée qu’on l’ait oubliée, tandis que la République, en robe de velours bleu, répète inlassablement son plus beau rôle : « La France, patrie des droits de l’homme ».


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