La Raison Face Aux Dogmes
Féminisme Et Contrôle Des Corps : Entre Émancipation Et Héritages Historiques
J’ai souvent entendu dire que le corps des femmes serait un champ de bataille. Je ne l’avais pas compris tout de suite, jusqu’à ce que j’observe à quel point les débats publics s’acharnent à définir ce que nous devons montrer, cacher ou symboliser. Le féminisme, dans ses courants multiples, se déchire entre celleux qui défendent la liberté du choix vestimentaire, et celleux qui dénoncent toute marque religieuse comme un asservissement. Au milieu de ces tensions, je me demande : qui parle vraiment de liberté ? Et surtout, au nom de quelle vérité ?
En tant que femme attachée à la laïcité et à la raison, je refuse de croire que la foi, quelle qu’elle soit, doive régir la vie publique. Je ne confonds pas la spiritualité intime avec les injonctions institutionnalisées qui dictent la manière de vivre et de se vêtir. L’histoire nous enseigne que les corps féminins ont toujours été instrumentalisés par le pouvoir religieux, qu’il soit patriarcal, monothéiste ou prétendument bienveillant. Des Pères de l’Église aux imams rigoristes, la femme a été pensée comme un objet de tentation ou de pureté, à protéger, contrôler ou dissimuler. Ce contrôle, qu’il se manifeste par l’imposition du voile ou par la condamnation du « trop court », naît d’une même source : la peur du corps féminin libre.
Mais l’émancipation ne consiste pas seulement à rejeter le religieux : elle suppose de dénoncer toute forme d’injonction morale. On ne libère pas les femmes en leur imposant un autre modèle de vertu. Quand une société laïque interdit le voile au nom de l’égalité, elle doit s’interroger sur sa propre cohérence : pourquoi s’indigne-t-elle de la pudeur imposée et si peu de la sexualisation exigée ? La réciprocité textile, pour reprendre cette formule, montre bien que nos normes vestimentaires demeurent inégales et que la liberté se mesure toujours selon des critères biaisés.
Le féminisme républicain, tel qu’il s’est construit en France, a souvent défendu la laïcité comme un outil d’émancipation universelle. J’y adhère profondément, mais je constate aussi qu’il se heurte à ses propres limites lorsqu’il oublie l’histoire coloniale. Sous couvert de libération, l’Occident a souvent prétendu « sauver » les femmes musulmanes de leur propre culture, en reproduisant un schéma paternaliste hérité du XIXe siècle. Le danger, ici, est de confondre universalisme et uniformité, en refusant d’admettre la pluralité des trajectoires d’émancipation.
Pourtant, je persiste à croire que la laïcité reste une valeur nécessaire, à condition qu’elle ne se transforme pas en arme d’exclusion. Elle n’est pas le rejet de la foi, mais la garantie de ne pas la subir. Elle assure à chacun·e la liberté de croire ou de ne pas croire, sans que la croyance prenne le pas sur la raison commune. En cela, elle rejoint la pensée agnostique, la mienne : reconnaître l’impossibilité de certitude absolue, mais refuser la soumission à des dogmes présentés comme indiscutables.
Je me place donc du côté de la critique, là où la raison tente de dissiper les illusions. L’antithéisme, dans sa forme philosophique, n’est pas une haine des croyant·e·s mais une vigilance face à l’emprise des croyances. Refuser le pouvoir des religions sur les consciences, c’est refuser aussi qu’elles dictent la norme sociale. La liberté du corps, comme la liberté de pensée, ne se négocie pas. Elle s’éprouve dans le doute, dans la discussion, dans cette zone fragile où la vérité se cherche, non où elle s’impose.
Je veux croire que le féminisme peut se réconcilier avec cette exigence de laïcité critique, qui ne réduit pas la femme à un symbole religieux, ni à un objet de consommation. Que la raison peut redevenir un espace d’émancipation, non de jugement. Et que la seule norme légitime est celle qui permet à chacun·e de choisir, en conscience, sans crainte, ni contrainte, ni culpabilité.
Les femmes n’ont pas besoin d’être sauvées, mais écoutées. C’est là, dans cette écoute lucide et rationnelle, que se joue la véritable liberté.







Laisser un commentaire