Repenser La Notion De Bien-Être Collectif
Argent, Comparaisons Et Sens : Pourquoi La Croissance Ne Suffit Pas Au Bonheur
Depuis des années, j’entends cette phrase familière : « l’argent ne fait pas le bonheur ». Elle sonne comme une sagesse populaire, mais elle dissimule un paradoxe fascinant que les chercheurs appellent le paradoxe d’Easterlin. Ce dernier montre qu’au sein d’un pays, les personnes disposant de revenus plus élevés se disent généralement plus satisfaites de leur vie, mais que, paradoxalement, lorsque la richesse moyenne du pays augmente, le niveau global de bonheur ne progresse pas nécessairement. Cette idée me touche profondément, car elle questionne nos repères : ce que nous possédons semble compter moins que la manière dont nous le vivons et le comparons à celui·celles qui nous entourent.
Lorsque j’ai découvert les travaux du psychologue Daniel Kahneman et de l’économiste Angus Deaton, j’ai compris qu’il fallait distinguer deux formes de bien-être. D’un côté, l’évaluation de vie – notre regard global sur notre existence. De l’autre, le bien-être émotionnel, fait de sensations quotidiennes comme la joie, la sérénité ou la gratitude. Leurs recherches ont montré qu’un revenu plus élevé améliore l’évaluation de vie, mais n’augmente pas forcément le bonheur ressenti au quotidien au-delà d’un certain seuil. En d’autres termes, « l’argent peut acheter du confort, mais rarement la paix intérieure ». Cette nuance me paraît essentielle pour comprendre pourquoi certaines personnes financièrement aisées expriment pourtant un sentiment de vide ou d’insatisfaction.
Je me souviens d’une amie, cadre dans une grande entreprise, qui me confiait ressentir une étrange lassitude malgré un revenu confortable. Elle disait : « Je gagne bien ma vie, mais j’ai le sentiment d’être toujours en retard sur les autres ». Cette remarque illustre l’un des mécanismes les plus puissants du paradoxe d’Easterlin : la comparaison sociale. Nous évaluons sans cesse notre situation à l’aune de celle d’autrui. Quand notre entourage s’enrichit, notre référence change, et le sentiment de bien-être se déplace. Ce jeu de miroirs, souvent inconscient, peut nous enfermer dans une course sans fin où chaque succès devient le point de départ d’un nouveau manque.
Dans mes lectures, j’ai aussi découvert à quel point la perception d’équité et de justice sociale influence notre bonheur. Les études menées en France par l’INSEE et l’Observatoire du bien-être montrent que les individus qui estiment vivre dans une société juste se déclarent plus satisfaits, indépendamment de leur revenu. Cela m’interpelle profondément : il semble que « nous ayons besoin de nous sentir reconnu·e·s autant que rémunéré·e·s ». Le sentiment d’appartenance, la solidarité, la confiance dans les institutions et la qualité des relations humaines jouent un rôle déterminant dans la stabilité émotionnelle.
Le bonheur, finalement, ne dépend pas seulement du compte en banque, mais d’un ensemble d’expériences et de valeurs. Une santé préservée, un travail porteur de sens, des liens affectifs solides et un sentiment d’équilibre entre vie personnelle et professionnelle sont des piliers du bien-être. Les données internationales du World Happiness Report le confirment : les pays les plus heureux ne sont pas ceux où l’on gagne le plus, mais ceux où la confiance, la sécurité et la cohésion sociale sont fortes. Cette constatation devrait nous amener à repenser ce que nous valorisons collectivement.
En tant que citoyenne, je crois que les politiques publiques devraient s’inspirer de ces enseignements. Plutôt que de viser uniquement la croissance économique, elles pourraient intégrer des indicateurs de bien-être multidimensionnels. Favoriser la santé mentale, la stabilité de l’emploi, la qualité du lien social et la réduction des inégalités, c’est investir dans le bonheur collectif. « Une société heureuse n’est pas celle où tout le monde gagne plus, mais celle où chacun·e peut vivre dignement et se sentir légitime à exister ».
Cette réflexion m’invite à regarder ma propre vie différemment. À me demander si je poursuis des buts qui nourrissent réellement mon bien-être ou seulement des comparaisons invisibles. Peut-être que la vraie richesse ne se mesure pas en euros, mais en moments de présence, d’équilibre et de sens.








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