Repenser Le Rôle Des Femmes Devant La Caméra
Déconstruire Le Regard Masculin Pour Réinventer L’Industrie
Depuis ses origines, le cinéma a longtemps été façonné par des regards et des structures de pouvoir masculins. Cette domination, souvent invisible, a déterminé non seulement qui raconte les histoires, mais aussi comment elles sont racontées. Derrière la caméra, les femmes ont été longtemps reléguées à des postes secondaires, exclues des sphères de décision et de financement. Devant la caméra, elles ont été figées dans des archétypes : muse, amante, victime. En France comme ailleurs, l’histoire du septième art s’est ainsi construite sur un déséquilibre structurel, où les voix féminines, minoritaires, peinent encore à s’imposer.
Le concept du « male gaze », théorisé par Laura Mulvey en 1975, a bouleversé la critique cinématographique. Selon elle, le cinéma classique hollywoodien repose sur un regard masculin qui structure la mise en scène, le cadrage et le récit, réduisant les femmes à des objets de désir et de contemplation. « In A World Ordered By Sexual Imbalance, Pleasure In Looking Has Been Split Between Active/Male And Passive/Female ». (Laura Mulvey). En d’autres termes, les spectatrices et spectateurs apprennent à voir le monde à travers un œil patriarcal. Cette grille de lecture a ouvert la voie à une compréhension nouvelle du pouvoir symbolique des images et à la nécessité d’en repenser les codes.
Pourtant, la résistance aux analyses féministes demeure forte. Les chercheur·e·s et critiques comme Geneviève Sellier, qui interrogent les structures genrées du cinéma français, rencontrent souvent un scepticisme institutionnel. Les grandes écoles, les jurys et les festivals, majoritairement dirigés par des hommes, reproduisent des modèles où les films d’hommes sur des hommes restent la norme implicite. Les chiffres récents confirment cette tendance : à peine un quart des longs-métrages français sont réalisés par des femmes, et leurs budgets moyens sont inférieurs de près de 30 %. Ces écarts ne relèvent pas d’un hasard, mais d’une exclusion systémique entretenue par les réseaux professionnels et les logiques économiques du secteur.
Face à cette situation, de nombreuses réalisatrices inventent d’autres manières de filmer et de raconter. Agnès Varda, pionnière du regard féminin, a toujours placé l’intime, le quotidien et la subjectivité des femmes au cœur de son œuvre. Céline Sciamma explore les relations de pouvoir, la construction du regard et la fluidité des identités dans « Portrait De La Jeune Fille En Feu », film où le regard se libère du contrôle masculin. Justine Triet, avec « Anatomie D’une Chute », a rappelé que les récits portés par des femmes peuvent conquérir la reconnaissance critique sans céder aux conventions. Ces voix montrent qu’un cinéma plus juste, plus égalitaire et plus nuancé est non seulement possible, mais nécessaire.
Les témoignages d’actrices, eux aussi, ont joué un rôle crucial dans la prise de conscience collective. Les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc ont brisé le silence sur les violences sexistes et sexuelles, révélant la profondeur des discriminations subies. Les biographies et récits personnels, qu’ils soient douloureux ou libérateurs, mettent en lumière la précarité symbolique et psychologique des femmes dans une industrie fondée sur le contrôle du corps et de l’image. Ces paroles, longtemps tues, participent à la reconstruction d’une mémoire collective du cinéma, où l’expérience des femmes devient un matériau de réflexion et de transformation.
Aujourd’hui, penser un cinéma féministe ne revient pas à exclure, mais à inclure. Il s’agit de multiplier les points de vue, de diversifier les récits, de garantir des conditions de production équitables et de former des générations capables de penser autrement la mise en scène du monde. Réinventer le cinéma, c’est repolitiser le regard, le rendre conscient, pluriel et solidaire. En regardant autrement, nous pouvons apprendre à voir autrement.







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