Les petits billets de Letizia

Un blog pour donner à réfléchir, pas pour influencer… #SalesConnes #NousToutes


Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

Quand L’Odeur Du Lait Chauffé Fait Revenir L’Enfance

Pourquoi Le Nez Rouvre Le Passé

Ce Que La Nostalgie Fait À Nos Vies Présentes

J’étais dans une auberge au-dessus des pâturages de Provence, un matin où les cailloux étaient encore blancs de fraîcheur. Une fermière avait posé sur le coin du feu une casserole où chauffait du lait tiré à l’instant. Lorsque la vapeur m’a frôlé le visage, l’enfance m’a bondi au col comme une bête apprivoisée. J’ai senti que j’allais pleurer. C’était net, immédiat, irrécusable. Ce pouvoir d’un parfum. Ce retour sans effort. Ce raccourci du temps.

On sait aujourd’hui que l’odorat a des entrées directes vers les lieux du cerveau où nichent les souvenirs et les émotions, notamment l’hippocampe et l’amygdale. Des travaux parus en 2020 expliquent que les souvenirs évoqués par l’odeur et par le goût sont plus vifs et plus chargés d’affect que ceux suscités par des images ou des mots. Une étude récente sur l’« effet Proust » en 2023 montre que ces réminiscences sensorielles sont plus positives et plus incarnées que les autres. (là, il ne s’agit pas d’une idée poétique mais d’un fait mesuré). Et l’Observatoire de la mémoire rappelle que les odeurs de l’enfance forment un noyau dur, résistant au temps.

Ce n’est pas indifférent que ces souvenirs soient presque toujours liés aux premières années. L’enfance, époque où tout est plein, où l’intensité n’a pas encore appris la réserve, enregistre le réel à cru. (quand j’y repense, rien n’a jamais eu plus de vérité qu’un matin de ferme, la peau mouillée, les mains collantes de crème, et le mugissement dans le ventre). Il faut dire qu’en Provence – et vous le savez si vous y avez traîné vos sandales – le réel ne chuchote pas : il cogne. Le thym tape à la porte du nez. L’huile étincelle comme de l’or liquide. Les vaches ont la placidité insolente des reines, et les femmes, la langue courte mais juste. On ne s’y trompe pas : ce que l’on respire, on l’apprend par cœur.

Ce passé sensoriel ne reste pas au grenier. Il gouverne en douce nos choix présents. Il explique pourquoi je vais plus volontiers vers un beurre cru que vers un dessert sophistiqué, pourquoi un simple bol de lait chaud me rend plus docile qu’une déclaration d’amour. Le marketing l’a compris : des travaux en branding montrent que réveiller une odeur-souvenir modifie la disposition d’achat. Mais la même force peut servir autrement : des chercheurs ont observé que des odeurs associées à des souvenirs heureux abaissent le rythme cardiaque et la respiration. On peut donc, avec un flacon, un plat, une vapeur, se prescrire du calme.

Et puis il y a l’affaire collective. Les odeurs de table ne font pas que réchauffer une personne : elles fabriquent un pays. Elles cousent dans nos corps l’idée d’une appartenance. Une odeur de lait chaud au-dessus d’un pré, et voilà tout un terroir qui remonte. Comme disait un auteur : « Les souvenirs évoqués par l’odorat et le goût sont souvent parmi les plus puissants ». – J. D. Green. Il faudrait peut-être, avant de courir après le nouveau, apprendre à ré-ouvrir ce que nous avons déjà reçu : un répertoire d’odeurs qui nous tiennent droit. (la prochaine fois qu’une odeur vous arrête, ne partez pas : restez, laissez faire, laissez revenir).


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