Une Atteinte À La Solidarité Nationale ?
Entre Responsabilité Et Inégalité, Quelle Place Pour La Solidarité ?
La santé publique n’est pas une variable d’ajustement comptable, et pourtant, elle semble aujourd’hui traitée comme telle. Le projet budgétaire présenté par le ministre des Finances, Sébastien Lecornu, entend réduire le déficit de l’assurance maladie de 17,5 milliards d’euros en 2025 à 12,5 milliards en 2026. Un effort chiffré, rigoureux, presque rassurant… s’il ne reposait pas, pour un tiers, sur celleux qui sont déjà les plus vulnérables : les malades. Car derrière les colonnes de chiffres se cache une autre réalité, plus silencieuse, celle d’une société qui fait payer à ses malades le prix de la discipline budgétaire.
Les économies prévues dans le domaine de la santé s’élèvent à 7,1 milliards d’euros, notamment grâce à la hausse des participations forfaitaires et des franchises médicales. Ces dispositifs, introduits en 2004 et 2008, devaient initialement « responsabiliser les patients ». Vingt ans plus tard, ils deviennent un instrument budgétaire, voire une ligne de fracture. Les personnes atteintes d’affections de longue durée, contraintes à des soins fréquents, en paieront le prix fort. Ce sont elles qui, par la répétition des actes médicaux, verront s’accumuler les débits sur leur compte de santé.
Cette idée de « responsabilisation » a quelque chose d’ironique : elle suppose que le patient ou la patiente serait à l’origine de la dépense, qu’il ou elle consommerait la santé comme on consomme un produit. Or, la maladie ne se choisit pas. La présenter ainsi revient à effacer l’injustice de la condition et à la recouvrir du vernis de la rationalité économique. Comme le rappelait Kofi Annan : « La santé n’est pas un coût, c’est un investissement ». Réduire l’accès aux soins, c’est fragiliser le socle même de notre prospérité collective.
Derrière le vocabulaire technocratique – équilibre, rationalisation, effort partagé – se dessine un autre discours : celui d’un État qui se conçoit de plus en plus comme un gestionnaire plutôt que comme un garant de la solidarité. La Sécurité sociale, créée sur les ruines de la guerre, reposait sur un principe simple et puissant : chacun contribue selon ses moyens, chacun reçoit selon ses besoins. En demandant davantage à celleux qui sont déjà affaibli·e·s, on inverse ce pacte fondateur. (Et c’est bien cette inversion silencieuse, presque administrative, qui inquiète le plus.)
Les conséquences sociales sont déjà perceptibles. Une étude récente montre que près d’un quart des Français·e·s ont renoncé à des soins pour des raisons financières. Ce chiffre n’est pas anodin : il dessine une fracture entre les corps aisés et les corps contraints, entre les soignant·e·s qui alertent et les décideurs et décideuses qui comptent. Dans ce contexte, la politique de « responsabilité » ressemble moins à un appel au civisme qu’à un transfert de charges déguisé.
Pourtant, d’autres voies existent. L’Allemagne, confrontée à des défis comparables, a choisi de réguler plus strictement le prix des médicaments et d’investir dans la prévention plutôt que dans la sanction financière. En France, une meilleure taxation des revenus du capital ou une lutte accrue contre la fraude sociale et fiscale offriraient des marges sans fragiliser les patient·e·s. Ce ne sont pas les alternatives qui manquent, mais la volonté politique de les assumer.
La santé ne saurait être réduite à une ligne budgétaire ; elle est le reflet de notre contrat social. Si la justice sociale a un prix, c’est celui que toute société solidaire devrait être prête à payer. Comme l’affirmait Simone Veil : « La justice sociale ne coûte jamais trop cher ». Peut-être est-il temps de rappeler que la rigueur comptable ne remplacera jamais la rigueur morale, et qu’une nation qui fait payer ses malades pour équilibrer ses comptes compromet, à terme, sa propre santé démocratique.
Références
- Projet de loi de finances – Volet santé, 2025
- Rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale, 2024
- Étude sur le renoncement aux soins en France, Observatoire des inégalités, 2023
- Analyse comparative des politiques de santé européennes, Institut Montaigne, 2022







Laisser un commentaire