Apprendre À Aimer Sans Blesser
Quand La Sécurité Émotionnelle Devient Un Terrain Glissant
J’ai souvent observé, chez des ami·e·s comme chez moi-même, cette étrange contradiction : nous sommes capables d’une infinie douceur envers des inconnu·e·s, mais parfois d’une rudesse désarmante envers nos proches. « Pourquoi fait-on tant de mal à celleux qu’on aime ? » Cette question m’est revenue récemment en regardant un couple d’ami·e·s, Barbie et Ken (prénoms changés), s’aimer sincèrement tout en se déchirant pour un rien. Une assiette mal rangée, un mot mal interprété, et le calme se transformait en tempête. Ils m’ont confié·e que la vie à deux ressemblait souvent à un duel d’amour.
Les psychologues expliquent ce paradoxe par la théorie de l’attachement. Nous projetons sur nos proches une confiance absolue, les percevant comme une « base de sécurité ». Cette sécurité émotionnelle, pourtant essentielle, a un revers : elle nous désinhibe. Convaincu·e d’être accepté·e malgré nos éclats, nous baissons la garde et laissons nos émotions s’exprimer sans filtre. Ce phénomène, observé depuis les années 1980, est accentué par ce que la recherche appelle le spillover émotionnel : le débordement du stress vécu ailleurs (au travail, dans la rue, dans les transports) vers le cercle intime. Nous finissons par faire subir à nos proches la colère ou la fatigue accumulée tout au long de la journée.
Chez Barbie et Ken, les disputes répétitives n’étaient pas tant le signe d’un manque d’amour que la trace de ce débordement. Chacun trouvait en l’autre un exutoire, une zone de décompression émotionnelle. La familiarité, elle aussi, joue un rôle. Plus on se connaît, plus on suppose que l’autre comprendra nos maladresses. Alors, on se permet des mots qu’on n’oserait jamais dire à un·e collègue ou à un·e ami·e distant·e. L’amour rend vulnérable, mais aussi exigeant. Il crée une attente implicite : celle d’être compris·e sans explication. Et c’est précisément là que naissent les malentendus.
Pourtant, comprendre ces mécanismes n’a de sens que si l’on apprend à les réguler. Le premier pas consiste à reconnaître cette tendance sans la culpabiliser. La psychologie contemporaine insiste sur la régulation émotionnelle : nommer ce que l’on ressent, différer la réaction, prendre le temps de respirer avant de répondre. La communication non violente ou la thérapie de couple reposent sur cette idée : faire de la conscience émotionnelle un outil de respect mutuel. Il ne s’agit pas de supprimer la colère, mais d’en apprivoiser l’expression. Comme le dit si justement Brené Brown : « La vulnérabilité est le berceau de l’amour, de l’appartenance, de la joie, du courage, de l’empathie et de la connexion ». Cette phrase me rappelle que l’amour véritable ne se mesure pas à la perfection de nos comportements, mais à notre capacité à reconnaître nos failles et à les transformer en dialogue.
Je crois profondément que nous ne blessons pas nos proches par méchanceté, mais par excès de confiance. Parce que nous les savons là, malgré tout. Mais aimer ne suffit pas : aimer, c’est aussi apprendre à se maîtriser, à choisir le mot juste, le silence utile, l’attention sincère. Si Barbie et Ken ont commencé à désamorcer leurs disputes, c’est en décidant d’écouter avant de réagir. J’y vois une leçon simple et universelle : la sécurité émotionnelle n’est pas un permis pour blesser, mais une invitation à mieux aimer.
Alors peut-être que la prochaine fois que la colère monte, nous pourrions simplement nous rappeler que la tendresse est une force, pas une faiblesse. Aimer, c’est prendre soin – même dans nos moments d’imperfection.
Références principales :
- Bowlby, Références principales :J. (1988). A Secure Base : Parent-Child Attachment and Healthy Human Development.
- Gottman, J. & Silver, N. (1999). The Seven Principles for Making Marriage Work.
- Brown, B. (2012). Daring Greatly : How the Courage to Be Vulnerable Transforms the Way We Live.
- Mikulincer, M. & Shaver, P. (2016). Attachment in Adulthood : Structure, Dynamics, and Change.








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