Quand La Tech Rencontre L’Apocalypse
Et Que La Planète Perd Son Calme
Il fallait bien que ça arrive : la Silicon Valley, ce laboratoire d’utopies numériques et de fortunes démesurées, s’invite désormais dans le domaine du divin. Oui, le nouveau prophète autoproclamé ne porte plus de toge, mais un costume bien taillé et un portefeuille garni d’actions Palantir. Peter Thiel, milliardaire de la tech et penseur autoproclamé de la fin du monde, s’est donc demandé si l’Antéchrist n’était pas déjà parmi nous. Et, comble de l’ironie, il aurait trouvé sa candidate : Greta Thunberg. « L’Antéchrist doit surpasser le Christ », aurait-il déclaré, l’air grave et inspiré, comme un prêtre en plein TED Talk sur l’apocalypse.
J’imagine la scène : dans une salle tamisée, un auditoire de jeunes ingénieurs suspendu aux lèvres d’un homme riche, méditant sur la fin des temps avec un PowerPoint à l’appui. Sur l’écran, une photo de Greta Thunberg en ciré jaune, brandissant sa pancarte « Skolstrejk för klimatet ». À côté, un graphique sur la domination des intelligences artificielles. Le tout ponctué d’un silence dramatique. (Peut-être même qu’une musique d’église s’élève, pour donner du poids à la révélation.)
Je souris, parce qu’il y a dans cette histoire une grandeur burlesque. Le milliardaire en croisé mystique, le monde en quête de sens, et la jeune militante suédoise devenue malgré elle figure biblique. C’est à la fois tragique et terriblement drôle : on confond la prophétie avec une réunion d’actionnaires.
Sous ses airs de visionnaire, Peter Thiel semble obsédé par les chiffres et les symboles : le Christ mort à trente-trois ans, l’Antéchrist, lui, apparaîtrait peut-être à soixante-six ; la tech, le pouvoir, la rédemption par les algorithmes. On pourrait presque entendre la voix d’un narrateur de film de science-fiction : « Dans un futur proche, un milliardaire annonce la venue de l’Antéchrist. Spoiler : c’est une lycéenne écolo ». Il y a là quelque chose de profondément humain dans le délire : la peur de perdre le contrôle, la nostalgie d’un sens perdu, et ce besoin de trouver un·e coupable, de préférence jeune, femme, et un peu trop courageuse.
Greta Thunberg, pourtant, n’a jamais brandi autre chose qu’une vérité inconfortable. (Et cela, déjà, suffit à déclencher les colères de ceux qui possèdent.) La voir transformée en incarnation du mal universel dit beaucoup sur notre époque : l’écologie y devient une menace, la sobriété un péché, et l’urgence climatique une hérésie. Pendant que certain·e·s prient pour l’immortalité numérique, d’autres réclament simplement que la planète reste vivable. Le contraste est saisissant, presque théâtral. On dirait une tragédie grecque jouée par des influenceurs.
Je repense à cette phrase de Hannah Arendt : « Le mal n’est jamais radical, il est seulement extrême, et il n’a ni profondeur ni dimension démoniaque ». Peut-être que tout cela n’est qu’une farce d’époque, une panique dorée dans un monde qui a troqué ses dieux contre des serveurs. Thiel, dans sa quête de sens, semble avoir confondu apocalypse et burn-out civilisationnel. Il projette sur les autres ses propres angoisses technologiques : la peur que ses inventions échappent à tout contrôle, que la machine finisse par juger son créateur.
Alors, qui est vraiment l’Antéchrist ? Certainement pas une jeune femme qui parle de réduction des émissions de CO₂. Peut-être plutôt cette obsession de toute-puissance, cette foi aveugle dans le progrès sans limites, qui transforme les humains en données et les convictions en marques déposées. Dans ce miroir inversé, Thiel et Thunberg deviennent les deux pôles d’une même tragédie moderne : lui, le Prométhée qui a volé le feu du code ; elle, la Cassandre qui crie dans le désert médiatique.
Et moi, au milieu, j’en ris presque. Parce qu’il faut bien rire un peu de la fin du monde, ne serait-ce que pour la rendre vivable. (Le rire, c’est encore ce qu’il nous reste de plus humain.) Le tragique se dissout dans le comique : un milliardaire voit des démons dans les militantes, un monde en crise se cherche des prophètes, et pendant ce temps, la planète continue de tourner – un peu de travers, certes, mais toujours vivante.
Je choisis d’y voir une parabole contemporaine : entre peur et foi, entre apocalypse numérique et écologie mystique, il nous reste cette lucidité fragile, celle qui permet encore de distinguer le délire de la conscience. Et si l’Antéchrist existait vraiment, peut-être ne ressemblerait-il pas à Greta Thunberg, mais à notre propre indifférence.
Références principales :
- Futurism – Peter Thiel’s Leaked Lectures On The Antichrist, octobre 2025
- The Guardian – Peter Thiel’s Private Talks About The Antichrist Revealed, octobre 2025
- Bloomberg Opinion – Peter Thiel’s Warnings About Tech And The Apocalypse, septembre 2025
- Washington Post – Tech Billionaire Discusses The Antichrist In Secret Lectures, octobre 2025








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