Stratégie Électorale Ou Incohérence Idéologique ?
Quand Le Parti Bleu Marine Se Découvre Une Âme D’Entrepreneur
Il fallait bien que cela arrive : le Rassemblement National, ce vieux routier du discours anti-mondialisation, vient de se découvrir une passion brûlante pour les bilans comptables et les dividendes. On imagine presque ses député·e·s, costume ajusté et sourire commercial, récitant des formules magiques du type « compétitivité », « attractivité », « fiscalité de l’investissement », comme si l’avenir de la France tenait désormais dans un manuel de management pour cadres stressés.
On ne sait s’il faut en rire ou en trembler : le parti autrefois chantre des ouvriers se rêve soudain en protecteur des actionnaires. (Il faut dire qu’en politique, la conversion est souvent plus rentable que la conviction.)
Le spectacle est fascinant. Le RN semble aujourd’hui jongler entre deux masques : celui du patriote qui veut « protéger nos emplois » et celui du libéral ébloui par le mot « croissance ». À force de vouloir tout concilier, il ressemble à un équilibriste marchant sur un fil tendu entre Trump et Meloni, le regard fixé sur les marchés financiers, tout en fredonnant « La France d’abord ». On attend presque la création d’un ministère du Patriotisme Compétitif, avec prime de fidélité pour les entreprises qui délocalisent avec amour.
Mais derrière la façade brillante du virage libéral, les fondations tremblent. Le contre-budget proposé pour 2026 promet des économies miraculeuses sur l’immigration, les agences d’État ou les contributions européennes. Des promesses qui rappellent ces régimes minceur vendus avant l’été : séduisants sur le papier, redoutables pour la santé. L’addition, comme toujours, viendra plus tard – et elle risque de piquer. D’autant qu’un rapport d’expert·e·s a récemment rappelé que les marges d’économie annoncées sont « largement surestimées ». Traduction : l’argent magique n’existe pas, même repeint aux couleurs tricolores.
C’est là tout le paradoxe : comment un parti fondé sur la souveraineté et la défiance envers le marché global peut-il aujourd’hui faire la cour aux grandes entreprises ? En vérité, ce virage libéral semble moins une illumination idéologique qu’un calcul d’image. Le RN a compris que pour paraître crédible, il fallait parler le langage du profit, même si le sens lui échappe encore. « Le libéralisme économique n’a de sens que s’il sert la liberté humaine », écrivait Simone Weil. À force de confondre la liberté du marché avec celle du citoyen, le RN risque bien de n’avoir ni l’une ni l’autre.
On pourrait sourire de cette nouvelle métamorphose si elle n’en disait pas autant sur notre époque. Ce besoin désespéré de cohérence, ce goût du grand récit économique où chaque problème aurait sa formule magique. (Nous aimons croire que baisser un impôt ou fermer une frontière suffira à réparer un monde fracturé.) Et pendant ce temps, les inégalités prospèrent, discrètes et constantes, bien plus solides que les slogans.
Au fond, ce « virage libéral » n’est qu’un décor de théâtre dans la grande comédie du pouvoir. Une manière de séduire les patron·ne·s sans effrayer les électeurs et électrices, de parler d’efficacité sans jamais évoquer justice. Le RN s’offre une cure d’image à la sauce start-up nation, mais la vieille mécanique populiste, elle, reste intacte sous le capot. À vouloir plaire à tout le monde, on finit souvent par se trahir soi-même. Et à ce jeu-là, le parti de Marine Le Pen risque fort de confondre tournant stratégique et dérapage contrôlé.
Il reste cette question, piquante et un brin désabusée : faut-il désormais un diplôme d’école de commerce pour prétendre sauver la France ? Si oui, le RN est prêt·e à candidater. En attendant, le pays, lui, continue d’attendre une politique qui parle moins au portefeuille et un peu plus à la conscience.
Références principales :
- Analyse des orientations budgétaires 2026 du Rassemblement National, 2025.
- Rapport économique sur les politiques populistes en Europe, 2024.
- Étude comparative des modèles économiques nationaux-populistes, 2023.
- Essai sur les mutations idéologiques du RN, 2025.








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