Quand L’Équité Se Heurte À La Puissance
Le Prix D’Un Courage Politique Trop Rare
Il y a des soirs où le Parlement ressemble à un théâtre d’ombres. Derrière les discours feutrés et les amendements arides, se joue une bataille essentielle : celle de la justice fiscale. Deux votes récents ont fait vaciller la façade d’un consensus économique bâti sur la complaisance envers les puissants. Pour une fois, l’Assemblée nationale a osé bousculer les règles du jeu. Enfin, presque.
Car que dit ce double sursaut démocratique ? Qu’une partie de la représentation nationale a décidé de s’attaquer à l’évasion fiscale des multinationales et des géants du numérique. Qu’un amendement entend taxer leurs bénéfices en proportion de leur activité réelle en France (une mesure susceptible de rapporter près de 26 milliards d’euros). Et qu’un autre double la taxe dite GAFAM, passée à 6 %. Une audace en apparence. Un frisson de justice dans un monde saturé d’inégalités. Mais aussi, disons-le, une victoire fragile, presque symbolique.
On nous répète que taxer ces entreprises, c’est risquer de faire fuir les investisseurs, de plomber l’économie, d’allumer une guerre commerciale. Vieille rengaine. Le mot « compétitivité » sert trop souvent de paravent à la lâcheté politique. « L’impôt est le prix de la civilisation », écrivait Oliver Wendell Holmes. Alors pourquoi ceux qui profitent le plus de cette civilisation en paieraient-ils le moins ? Où est la cohérence ? Où est la décence ?
Les multinationales jouent sur tous les tableaux, déplacent leurs profits au gré des paradis fiscaux, jonglent avec les conventions bilatérales comme on tord un texte pour en extraire la faille. Et nous, citoyen·ne·s, payons chaque jour le prix de cette hypocrisie : des hôpitaux sous-dotés, des écoles épuisées, des services publics qui s’effritent. Pendant que d’autres déplacent des milliards d’une colonne à l’autre, d’un territoire à l’autre, sans jamais croiser le regard de celleux qui financent la collectivité.
Certes, ces amendements ne renversent pas la table. Ils en soulèvent un coin, timidement, comme pour vérifier si le courage politique n’a pas tout à fait disparu. Le ministre de l’Économie a perdu une bataille, mais le symbole est là : la majorité présidentielle n’est plus imperméable. Des alliances inédites se dessinent. Une fissure s’ouvre dans la logique du « toujours moins d’impôt pour les plus puissants ». C’est mince, mais c’est un début.
Pourtant, la question demeure : jusqu’où la France peut-elle aller sans risquer la sanction internationale ? Faut-il vraiment choisir entre justice et croissance, entre équité et stabilité ? Ce dilemme est un faux problème. Car sans justice, la croissance devient cynique ; sans équité, la stabilité se délite. Ce n’est pas d’économie que la France manque, mais de courage moral.
Je crois qu’il est temps de replacer l’humain au cœur de la fiscalité. De cesser de traiter l’impôt comme un mal nécessaire, et de le voir enfin comme un acte de solidarité. Un pacte collectif. Une contribution à la décence commune. La fiscalité n’est pas un chiffre dans un tableau Excel : c’est un choix de société, une manière de dire qui nous sommes et ce que nous voulons protéger.
Il ne s’agit pas de punir les entreprises, mais de leur rappeler qu’elles prospèrent grâce à une société qui les rend possibles. Routes, écoles, tribunaux, infrastructures : rien de cela n’existe sans l’effort commun. Si certaines fuient leur part, c’est la démocratie tout entière qu’elles fragilisent.
Alors oui, ces votes sont imparfaits. Ils tremblent encore d’hésitation. Mais ils portent en eux une promesse : celle d’une souveraineté retrouvée, d’un État qui ose affirmer que l’économie n’est pas au-dessus de la morale. Si la France veut rester fidèle à son idéal républicain, elle devra choisir. Entre la peur et la justice. Entre la complaisance et le courage.
« La justice fiscale n’est pas une utopie, mais un chemin à tracer, pas à pas, avec lucidité et courage ».
Références
- Débats budgétaires à l’Assemblée nationale, octobre 2025
- Rapport Attac sur la fiscalité internationale, 2024
- Analyse économique de l’OCDE sur la taxation numérique, 2025
- Étude du Conseil d’État sur les conventions fiscales bilatérales, 2023








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