Quand L’image Physique Prend Le Pas Sur Les Idées
Quand Les Dirigeants Politiques Se Prennent Pour Des Dieux Grecs
Il fut un temps où la politique se jouait sur des tribunes, des estrades, des bancs de l’Assemblée. Aujourd’hui, elle semble s’inviter dans les vestiaires. Les dirigeants posent torse nu, contractent leurs muscles comme d’autres leurs arguments, et l’on dirait que la sueur a remplacé la rhétorique. Le pouvoir se mesure désormais en centimètres de biceps et non plus en épaisseur de programme. J’observe cette étrange mue de la politique avec la curiosité amusée d’une spectatrice d’opéra qui verrait les ténors troquer leurs costumes contre des débardeurs moulants.
Le corps, jadis simple vecteur de présence, est devenu manifeste. « Mens sana in corpore sano », disaient les Romains ; aujourd’hui, la formule semble s’être inversée : c’est l’apparence du corps qui prétend prouver la santé de l’esprit. Emmanuel Macron, Vladimir Poutine, Robert Kennedy Jr. – autant de silhouettes sculptées dans le marbre numérique, exhibées au nom de la vigueur nationale. L’exercice n’est pas innocent : sous les abdos, la symbolique. Le muscle parle de combativité, d’endurance, de contrôle. Mais il parle trop fort, peut-être.
Il y a dans cette exhibition une nostalgie de l’héroïsme antique, ce rêve de revenir à l’époque où le chef se devait d’être aussi fort que juste. De Zeus à Poutine, la virilité triomphante se rejoue sur tous les écrans. « Les hommes construisent des temples à leur propre image », rappelait Simone de Beauvoir ; et nos dirigeants semblent décidés à bâtir leurs autels sur Instagram. La musculature, comme autrefois la toge, devient signe d’autorité. Mais à force de jouer les demi-dieux, ne risquent-ils pas d’oublier la fragilité humaine qui fonde justement la légitimité du pouvoir ?
Les réseaux sociaux ont transformé la salle de sport en agora mondiale. Le selfie remplace le discours, la lumière artificielle celle des idées. L’élu·e d’aujourd’hui doit se mettre en scène, s’afficher dans la transparence d’une story, transpirer de sincérité, même retouchée. Ce culte du corps performatif, où la politique flirte avec le marketing du bien-être, interroge notre rapport collectif à l’authenticité. Sommes-nous devenus des spectateurs et spectatrices de la volonté physique plus que citoyen·ne·s de la volonté politique ?
Sous l’éclat du muscle se cache pourtant une inquiétude. Cette obsession de la force traduit moins une assurance qu’une peur de la vulnérabilité. Judith Butler l’avait déjà suggéré : la masculinité n’est pas un état, mais une performance sans fin. Les dirigeants, eux aussi, jouent leur rôle, craignant qu’un soupçon de faiblesse ne fissure leur image d’autorité. Derrière chaque torse contracté, je devine une angoisse sourde : celle d’être jugé·e non pas sur son courage moral, mais sur la fermeté de son triceps.
Cette politique du physique n’est pas sans conséquence. À force de réduire le pouvoir à la posture, on confond la force et la forme. Les discours s’amincissent, les symboles gonflent. Ce culte du muscle finit par ressembler à un concours de beauté idéologique où la démocratie se mire dans le miroir des apparences. « Il faut plus de courage pour être doux que pour être fort », écrivait Jean Rostand ; une maxime que nos leaders, à force de levées de fonte, semblent avoir reléguée au fond du vestiaire.
Je crois pourtant à un autre type de puissance, plus discrète et plus exigeante : celle de l’humilité. Dans un monde saturé d’images, la sobriété devient une forme de résistance. Le vrai courage politique n’est pas de se montrer parfait·e, mais de se révéler humain·e. On peut gouverner sans exhiber son corps, comme on peut inspirer sans lever la voix. La force la plus rare, aujourd’hui, est peut-être celle de l’imperfection assumée.
Alors, que reste-t-il de ce spectacle du muscle ? Une étrange mise en scène de la fragilité déguisée en puissance. Derrière le vernis de la performance, c’est encore l’humain qui cherche à convaincre, maladroitement, qu’il est vivant. Et peut-être que la vraie révolution, un jour, consistera à apparaître simplement comme on est – un peu flasque, un peu fatigué, mais sincère.
Références
- « Le Corps Politique Et Ses Représentations », Revue Internationale De Sociologie, 2023
- « L’Image Du Pouvoir À L’Ère Numérique », Études Médiatiques, 2024
- « Masculinité Et Performance », Cahiers De Genre, 2022
- « La Communication Du Corps En Politique », Politix, 2021








Laisser un commentaire