Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

Libertés En Péril : La France Face À Ses Propres Contradictions

Quand La Sécurité Devient Le Prétexte D’Une Démocratie Sous Contrôle

Entre Dérive Législative Et Démission Citoyenne

La liberté ne disparaît jamais brutalement ; elle s’érode, lentement, sous le poids de la peur et de l’habitude. Depuis le début du XXIe siècle, la France a vu se multiplier les lois d’exception, nées dans l’urgence, mais devenues permanentes. Au nom de la lutte contre le terrorisme, du maintien de l’ordre ou de la protection contre les menaces diffuses, l’État a étendu son pouvoir de contrôle sur la vie publique et privée. Ce mouvement, souvent invisible, transforme insensiblement notre rapport à la démocratie. « Le plus grand danger pour la liberté, c’est l’absence de vigilance des citoyens », écrivait Montesquieu ; or, c’est peut-être cette vigilance-là que nous avons peu à peu perdue.

Dans le sillage des attentats de 2015, puis de la crise sanitaire, la logique de l’exception est devenue la règle. Les mesures de l’état d’urgence ont glissé, presque sans débat, dans le droit commun ; la loi SILT de 2017 a consacré ce basculement durable. Ce que l’on croyait temporaire s’est inscrit dans le marbre. Les prérogatives administratives de contrôle, les interdictions préventives de manifester, les assignations à résidence sont désormais des outils ordinaires. L’argument de la sécurité l’emporte systématiquement sur celui des libertés. Et pourtant, qui oserait nier que ces restrictions, si légitimées soient-elles par la peur, affaiblissent le cœur même de la citoyenneté ?

Cette tension entre liberté et sécurité n’est pas propre à la France : le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont connu des évolutions comparables. Mais la singularité française réside dans la facilité avec laquelle ces mesures trouvent l’assentiment populaire. La peur a supplanté le débat. Le citoyen·ne, inquiet·ète mais confiant·e, consent à son propre encadrement. Ce consentement passif marque une fracture profonde : celle d’un peuple qui, fatigué des crises, préfère la tranquillité à la liberté.

La société se résigne. Les libertés reculent sans tumulte. Le droit de manifester s’entoure de conditions toujours plus strictes, la liberté d’expression se plie à la surveillance numérique et la liberté d’aller et venir devient suspecte dans l’espace public. L’ordre prime sur la pluralité. Derrière ce glissement silencieux, c’est une mutation culturelle qui s’opère : la liberté n’est plus un bien commun, mais une variable d’ajustement dans la gestion des crises. François Sureau a justement dénoncé cette dérive où la liberté cesse d’être un principe universel pour devenir une concession du pouvoir.

Cette fragmentation s’accompagne d’un autre phénomène : la multiplication de droits sectoriels et communautaires. Chacun·e revendique sa liberté particulière, mais l’idéal collectif s’efface. Au lieu de rassembler, les droits séparent ; au lieu d’émanciper, ils cloisonnent. Cette évolution traduit une perte de sens : on ne se bat plus pour la liberté de toustes, mais pour celle des siens. Le pacte démocratique s’en trouve affaibli.

Il ne s’agit pas ici de nier les défis sécuritaires auxquels la France est confrontée, mais de rappeler que la démocratie se mesure précisément à sa capacité de les affronter sans renoncer à ses fondements. La sécurité n’est pas un droit supérieur à la liberté ; elle en est une condition, mais non une finalité. Une société qui sacrifie l’une pour l’autre finit par perdre les deux.

La question n’est donc pas de choisir entre liberté et sécurité, mais de repenser leur équilibre. Cela suppose de redonner au débat public toute sa vitalité, de renforcer les contre-pouvoirs, et surtout de réhabiliter la responsabilité citoyenne. L’indifférence est le terreau de toutes les dérives. Une démocratie sous contrôle n’est pas une démocratie plus forte ; elle est simplement une démocratie plus docile.

Simone Veil écrivait : « La liberté n’existe que lorsqu’elle se vit et se défend ». Défendre la liberté, aujourd’hui, ce n’est pas refuser toute mesure de sécurité, mais exiger que celles-ci soient toujours proportionnées, temporaires et débattues. C’est aussi refuser le confort de la résignation. Dans cette période de désenchantement civique, retrouver le goût de la liberté est peut-être l’acte le plus politique qui soit.

En définitive, la démocratie française n’est pas menacée par un coup de force, mais par une lente abdication. Il nous appartient de dire non à cette normalisation du contrôle, de rouvrir le champ du débat et de renouer avec une liberté vécue, incarnée, partagée. Car une société libre n’a pas besoin de surveillance ; elle a besoin de confiance.

Références

  1. Les Libertés Publiques En France : Un Bilan Critique (2022)
  2. La Dérive De L’État D’urgence : De L’Exception À La Norme (2021)
  3. François Sureau, Sans La Liberté (2019)
  4. Rapport Sur Les Droits Fondamentaux En Europe (2023)


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